Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la civilisation moderne. C’est à cette date en effet que se termine la grande lutte du sacerdoce et de l’empire, dont le résultat est de marquer sans retour la séparation du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel. En France, l’unité nationale s’établit en même temps que l’autorité se centralise. La féodalité, puissante encore, mais déjà bien affaiblie, s’incline, devant le pouvoir royal. L’industrie s’organise, en même temps que les communes se constituent définitivement. En Allemagne, la chute de la maison de Souabe modifie profondément la constitution du pays. À l’antique unité fédérative se substituent, avec l’avènement des Habsbourg, des monarchies et des principautés particulières. Les dernières traditions de l’empire de Charlemagne s’effacent et disparaissent, et la géographie politique de l’Europe se dessine sous un aspect nouveau. Un mouvement général de concentration s’opère au sein des nationalités mêlées depuis de longs siècles par les invasions barbares. L’Italie offre en germe toutes les idées qui doivent régner dans l’avenir. Elle est tout à la fois républicaine, féodale, monarchique, municipale, impériale, ecclésiastique, et elle essaie en vain, pour se constituer comme nation, les formes de gouvernement les plus contradictoires. La diplomatie, c’est-à-dire l’art de traiter par la discussion, et souvent aussi par la ruse, les intérêts des peuples qui jusque-là avaient été traités seulement par les armes, la diplomatie, disons-nous, commence à jouer un rôle important dans les affaires humaines. Enfin la politique, oubliée comme science depuis la chute du monde gréco-romain, reparaît pour la première fois dans la littérature avec le traité de saint Thomas, De regiffline principum.

Dans ce tumultueux avènement de tant d’idées nouvelles, au milieu de cette transformation politique et sociale, il y avait place pour les grandes ambitions : elles n’y manquèrent pas en effet. L’un des princes les plus entreprenans dont l’histoire ait gardé le souvenir, l’empereur Frédéric II, rêva la monarchie universelle, et tenta de reconstituer l’empire de Charlemagne. Supérieur à son temps par la portée des intentions politiques, Frédéric II, qu’on peut regarder avec raison comme le précurseur couronné de Machiavel, se plaça, pour réussir, en dehors de tous les principes de la morale et du droit. Il fut, on peut le dire sans exagération, le premier athée du moyen âge dans le sens moderne du mot ; mais sceptique à l’égard de sa propre incrédulité, il fit de la religion l’instrument de sa politique. Excommunié par Grégoire IX, déposé par Innocent IV, il se pose, par haine du saint-siège, en réformateur de la discipline ecclésiastique. Pour se ménager le prétexte de confisquer à l’occasion les biens du clergé, il va répétant sans cesse qu’il faut le ramener à la pauvreté évangélique. Il bat monnaie avec les vases sacrés et les trésors des églises. Il tente de se proclamer chef d’une communion indépendante, afin de concentrer dans sa main la double autorité de l’empereur et du pontife, et s’il échoue dans cette entreprise trop hardie pour son siècle, il ouvre du moins la voie où Wiclef, Jean Huss et Luther s’engageront sur ses pas, ce qui n’empêchera point les courtisans de le déclarer saint et de lui baiser les pieds comme au pape. Esprit fort et bel esprit, Frédéric s’entoure de philosophes, d’astrologues et de musulmans ; il s’associe aux croisades pour tromper l’Europe chrétienne, et protège les sciences arabes pour faire obstacle à l’influence du saint-siège, en même temps qu’il fait brûler les hérétiques de la basse Italie, dans lesquels il craignait de trouver des vassaux rebelles. Enfin,