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dans ces dernières années le sujet de quelques publications intéressantes. Nous ne citerons que le Physiologus de MM. les abbés Martin et Cahier, le commentaire de M. Hippeau sur le Bestiaire divin de Guillaume le Normand, les recherches de M. de Reiffenberg sur les animaux des poèmes chevaleresques, et les belles études de M. Duchalais sur l’iconographie symbolique. Jusqu’à présent toutefois la question n’a point encore été traitée dans son ensemble ; il y a donc, nous le répétons, un intérêt véritable à faire connaître, en la suivant à travers les différens âges, cette histoire étrange et variée, à montrer les lions du désert, les loups des forêts celtiques, les poissons, les reptiles, les oiseaux, figurant à côté de l’homme comme les acteurs intelligens d’un drame qui se joue, ainsi que les mystères du moyen âge, sur la terre, dans le ciel et dans l’enfer.


I. – LES ANIMAUX DANS LE MONDE ANTIQUE.

Depuis les temps fabuleux jusqu’aux époques les plus brillantes de la civilisation gréco-romaine, les sciences basées sur l’observation positive des faits semblent rester stationnaires. Seul dans toute l’antiquité, Aristote, en étudiant la nature, s’applique à pénétrer ses mystères ; seul, et le premier entre tous, il décrit avec exactitude les mœurs des animaux, et il les classe d’après les règles d’une sorte de physiologie comparée ; mais personne ne le suit sur les hauteurs où son génie l’élève[1]. La science qu’il fonde, en pressentant la plupart des grandes découvertes de l’avenir, est comme étouffée sous les fables. Ses commentateurs, Elien, Ctésias, Pline lui-même, admettent sans examen et sans contrôle les faits les plus extraordinaires ; on ne s’inquiète jamais de vérifier. Les êtres les plus connus eux-mêmes, les plus faciles à observer, deviennent l’objet des plus bizarres légendes. Le monde est complètement transfiguré par l’ignorance et la superstition populaires, et comme l’erreur elle-même a sa logique, il résulte de l’absence de toute notion positive que le rêve se substitue partout à la réalité ; on marche sans cesse de merveilles en merveilles. Roi de la création, l’homme semble abdiquer son ancienne suzeraineté, humilier sa raison devant l’instinct, et oublier son âme pour prêter aux animaux ses facultés, ses sentimens, ses passions. Il se rabaisse en les élevant jusqu’à lui, et quelquefois au-dessus ; puis, quand il a métamorphosé les êtres réels, il invente une foule d’êtres fantastiques dont l’existence impossible est acceptée par

  1. Voyez, pour l’appréciation d’Aristote comme naturaliste, Cuvier, Hist. des Sciences naturelles ; Cuvier dit qu’il ne peut lire les œuvres du philosophe grec sans être ravi d’étonnement.