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du corps, et de l’autre horrible serpent ; en s’alliant avec Typhon, vent terrible et furieux, elle devient mère de quatre enfans : Othos, le chien de Geryon tué par Hercule ; — Cerbère, aux cinquante têtes ; — l’hydre de Lerne, aux cent têtes toujours renaissantes ; — une Chimère nouvelle, qui ne ressemble plus à sa mère, et qui, au lieu d’avoir comme elle une tête de nymphe sur un corps de serpent, a trois têtes, celles du lion, de la chèvre et du serpent, sur un corps de quadrupède. C’est l’occupation des héros, tels que Thésée, Hercule, Bellérophon, de détruire ces êtres formidables, comme ce sera plus tard l’occupation des saints d’enchaîner et de vaincre les dragons qui gardent les fontaines et les forêts celtiques. Si, dans la légende chrétienne, il est évident que le dragon représente le paganisme et le démon, on peut croire aussi que, dans les légendes païennes, les animaux monstrueux terrassés par les héros représentent les espèces nuisibles qu’il a fallu combattre pour permettre à la civilisation de s’établir.

Seul au milieu de ces monstres, le phénix, emblème du soleil, qui deviendra dans la symbolique chrétienne l’emblème du Christ et de la résurrection, apparaît avec le caractère de la douceur et de la beauté. Son existence est non-seulement attestée par les naturalistes, mais par les historiens les plus graves eux-mêmes. Tacite signale, comme un événement qui mérite d’être transmis à la postérité la plus reculée, son apparition sous le consulat de Paulus Fabius et de Vitellius, c’est-à-dire en l’an 34 de notre ère. « Suivant les uns, dit Tacite, il naît un phénix tous les cinq cents ans, suivant les autres tous les quatorze cent soixante et un ans. » Le premier se montra sous le règne de Sésostris ; on le vit reparaître sous Amasis, puis sous Ptolémée, le troisième roi macédonien de l’Égypte. Cette fois il prit son vol vers Héliopolis, au milieu d’une foule d’oiseaux qui le suivaient, tout surpris de la beauté de son plumage et de l’étrangeté de sa forme. » Quand le nombre de ses années est révolu, ajoute l’historien romain, quand sa mort approche, le phénix construit dans sa terre natale un nid qu’il inonde d’un principe générateur ; il en naît un oiseau, et son premier soin, lorsqu’il a grandi, est d’ensevelir son père. Pour accomplir le pieux devoir des funérailles, il agit avec une sagacité singulière ; il se charge de myrrhe qu’il s’habitue à porter pendant de longs voyages, et quand il est assez fort pour le fardeau et pour la route, il enlève la dépouille de son père, la dépose et la brûle sur l’autel du soleil[1]. »

Acceptées par les peuples comme des faits réels et incontestables, célébrées par la poésie, recueillies par l’histoire, toutes les fables dont

  1. Tacite, Ann., liv. VIII, c. 18.