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son père Battista Groffolo, et Giacomo furent invités à partager un repas modeste que Catarina avait préparé pour fêter la présence de son fils. Au milieu de la joie et de la cordialité qui présidaient à cette réunion presque de famille, chacun des convives adressait à Catarina des complimens sur Lorenzo, sur ses belles manières, sur l’instruction qu’il avait acquise et le brillant avenir qui l’attendait. La pauvre mère, toujours craintive dans ses prévisions, n’accueillait ces complimens qu’avec tristesse : elle ne pouvait pas se dissimuler que le départ de Lorenzo allait la priver de la plus grande joie de sa vie, et que, si elle avait déjà beaucoup souffert depuis qu’il avait été adopté par le sénateur Zeno, elle souffrirait encore davantage d’une séparation dont elle n’entrevoyait pas le terme. Sans doute il lui serait facile d’aller de temps en temps le voir à Venise; Lorenzo, de son côté, pourrait accourir auprès de Catarina au moindre désir qu’elle lui en manifesterait; mais de pareilles raisons ne sont jamais suffisantes pour dissiper les inquiétudes d’une mère. Aussi est-ce les larmes aux yeux qu’elle écoutait toutes les belles choses qu’on disait de son fils, et c’est en vain que Giacomo lui citait doctoralement l’autorité de saint Pierre et de saint Paul, pour lui apprendre à se soumettre avec résignation à la volonté de Dieu : elle ne répondait rien et pleurait en silence.

Après le dîner, qui se prolongea assez tard dans l’après-midi, après le départ des convives et leurs joyeuses félicitations, Catarina, prenant Lorenzo par la main, le fit asseoir auprès d’elle, sur le banc de pierre qui était sous la treille, devant sa maison. Une belle soirée d’automne commençait à peine, et le soleil couchant dardait sur la treille et sur le figuier qui en était le soutien ces rayons dorés et affaiblis qui donnent à tous les objets un aspect doux et mélancolique. La porte de la maison entr’ouverte laissait apercevoir un intérieur modeste, mais d’une propreté exquise. Au chevet du lit, on voyait un Christ d’ivoire avec un bénitier au-dessous et une branche de buis; sur la cheminée, une image de la Madonna avec l’enfant Jésus, un portrait du sénateur Zeno et une vieille gravure représentant un doge de la république de. Venise. Une mandoline était suspendue avec un tambour de basque du côté opposé, et le plafond était garni de grappes de raisin attachées par un fil, en prévision des besoins de l’hiver. Tenant Lorenzo par la main, assise sur ce banc de pierre où elle l’avait si souvent couvert de ses baisers, Catarina, d’une voix émue, lui adressa de simples paroles qui restèrent gravées dans la mémoire du chevalier, et qui eurent sur sa vie une grande influence :

« Mon fils, vous allez partir, vous allez quitter ce beau pays où votre enfance a été si heureuse et si sereine, loin de cette maison où Dieu me fit la grâce de vous donner le jour. Je ne sais combien