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près certain que l’existence lui sera douce et glorieuse. Toutes les chances favorables sont annotées par un procédé du calcul des probabilités qui ferait honneur à un Laplace ou à un d’Alembert. Esprit fin, caractère noble, généreux et prudent, plein de fermeté et de condescendance, de foi et d’hésitations, M. Meyerbeer porte dans ses œuvres ce mélange singulier de tendances et de qualités diverses, de grandes passions et d’effets curieux. Voyez-vous là-bas, dans cette loge éclairée par une lampe mystérieuse, ce petit homme courbé sur une partition manuscrite chargée de ratures et contenant deux et jusqu’à trois formules différentes de la même idée ? C’est l’auteur illustre de Robert le Diable, des Huguenots et du Prophète, qui préside à la répétition générale, et qui, ainsi qu’un astronome dans sa tour solitaire, observe comment s’élèvera sur l’horizon le nouvel astre de sa pensée, qui s’appelle l’Étoile du Nord. Quelle est donc cette œuvre, résultat de tant d’efforts ? Le procédé du maître nous est connu ; il est temps d’en venir à son dernier ouvrage, qu’on nous permettra d’analyser en détail avant de l’apprécier dans son ensemble.

L’ouverture de l’Étoile du Nord, qui est celle du Camp de Silésie, opéra de circonstance qui fut donné à Berlin en 1844, débute par un rhythme bien accentué, sur lequel se développe une phrase ravissante qui reviendra plusieurs fois dans le courant de l’ouvrage, et que les flûtes et les clarinettes, entremêlées de quelques accords de harpe, récitent avec beaucoup de charme. À la péroraison de cette ouverture vient se joindre une fanfare d’instrumens de cuivre de M. Sax, qui éclate derrière le rideau, et qui donne à ce morceau de symphonie un caractère martial et assez original. Au premier acte, on remarque tout d’abord l’air que chante le pâtissier Danilowitz, futur prince de l’empire sous le nom de Menzikof, dont M. Scribe a placé la destinée dans ce premier plan, contrairement à l’histoire. Cet air, — Achetez des tartelettes, — est d’une mélodie facile et fort joliment accompagné. Il est suivi d’un très beau chœur : — A la Finlande buvons, — d’un rhythme saisissant et dramatiquement coupé, selon la manière bien connue du maître. Les couplets que chante Catherine, — Le bonnet sur l’oreille et la pipe à la bouche, — sont aussi charmans. La jeune fille, racontant la visite qu’elle vient de faire au père de Prascovia, qu’elle a demandée en mariage pour son frère George, imite de la voix et du geste l’accent du bonhomme, et donne lieu à une de ces peintures de la réalité physique qui sont la grande préoccupation de M. Meyerbeer. J’aime beaucoup moins l’air de Prascovia, — Ah : que j’ai peur, que j’ai peur ! — que je trouve d’une vérité puérile, et qui ne vaut pas le joli quatuor qui en est la conclusion. Mais ce qui est ravissant, c’est la ronde - Il sonne et résonne, — chantée par Catherine sous le costume de bohémienne aux Cosaques qui l’écoutent, et dont elle arrête la fureur par ses incantations mélodiques. La réponse du chœur en accords plaqués est bien en situation, et forme un de ces tableaux poétiques qui sont le véritable objet de l’art. Ce morceau appartenait aussi au Camp de Silésie, et l’on assure que Mlle Lind le chantait d’une manière inimitable. Je passe sous silence le duo entre Catherine et Peters, — De quelle ville es-tu ? — qui est d’une structure baroque et fort décousu, pour signaler celui des deux femmes, — Ah ! ah ! quel dommage, — dont la conclusion forme un joli nocturne. Les couplets chantés