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elle dut se demander quelle serait l’attitude des divers états de l’Europe ; elle posait même le cas où elle aurait à faire face à tous. Or le pays le plus opposé aux desseins de la Russie à cette époque était l’Autriche. Le prince de Metternich, malgré sa répugnance aux partis extrêmes, allait jusqu’à accepter les chances d’une guerre,et il l’eût faite, si la France s’y fût prêtée. Une dépêche curieuse de M. Pozzo di Borgo, datée de 1825, atteste assez ces dispositions. D’autres sentimens prévalaient alors en France et en Angleterre. L’esprit libéral était exalté par l’insurrection grecque. L’affranchissement de la Grèce suivit en effet, et l’Europe y vit un triomphe ; mais ce qui n’était point du tout un succès pour l’Europe, c’est que pendant ce temps la Russie poursuivait la guerre contre la Turquie, abandonnée de tout le monde, et lui arrachait le traité d’Andrinople, étape nouvelle dans la voie de ses conquêtes en Orient. Même après ce traité M. de Nesselrode disait encore de l’Autriche : « Nos rapports avec elle sont froids, et ne peuvent que l’être après toutes les contrariétés qu’elle nous a suscitées pendant la dernière guerre, » Qu’en faut-il conclure ? C’est que dans la crise actuelle, en se rangeant du côté de la France et de l’Angleterre, l’Autriche ne fait que demeurer fidèle à ses précédens politiques en même temps qu’elle satisfait à ses intérêts les plus directs en Europe et en Orient. En réalité, si on examine bien, l’Autriche est beaucoup plus engagée qu’elle ne le croit peut-être elle-même. Pour elle, accepter l’alliance de la France et de l’Angleterre n’est que la conséquence naturelle de tout ce qu’elle a fait depuis un an, puisque depuis un an elle n’a cessé d’avoir sa part dans toutes les propositions de paix. C’est pour se tourner du côté de la Russie qu’elle aurait eu à faire un effort immense ; elle aurait eu à revenir sur toute sa politique.

Sur quoi donc peut compter la Russie aujourd’hui ? Elle ne peut plus espérer le concours de l’Autriche et de la Prusse. Elle ne peut s’appuyer sur des états relativement moins importans tels que le Danemark, et la Suède, qui nourrit encore le vieux grief de la Finlande conquise, et qui marcherait plutôt contre elle. Elle n’a la sympathie d’aucun gouvernement et d’aucun peuple. Seule en Europe, c’est en Orient même qu’elle semble reporter sa pensée et son action. Depuis un an en effet, on peut observer comme un dialogue muet entre le gouvernement russe et les populations grecques de l’Orient. – Je défends la foi orthodoxe, dit la Russie, je revendique ses privilèges, je couvre de ma protection votre religion et vos foyers. — Soit, disent les populations orientales par leurs organes les plus distingués : nous voulons plus qu’un protectorat russe, nous voulons l’empire chrétien rétabli à Byzance ; mais pour le moment vous êtes l’ennemi des Turcs, vous menacez leur domination, et cela nous suffit. Puis la guerre est une occasion d’affranchissement. — Ainsi s’est exalté progressivement l’esprit grec. Assez souvent nous avons indiqué le travail qui s’opère dans ces contrées. Les publications les plus remarquables ne cessent d’enflammer les ressentimens contre la Turquie et de relever les victoires de la Russie, tout en disant qu’on ne veut pas du protectorat russe, qu’il n’y a point de parti russe. À quoi cela conduit-il ? Aux insurrections qui viennent d’éclater sur divers points. Dans l’Albanie, dans la Thessalie, dans la Macédoine, des mouvemens simultanés se sont produits. Arta est le foyer de la plus active propagande. Quand même il