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sympathique étude sur toute cette poésie. Singulière renaissance, variée dans ses manifestations, issue au fond de la même pensée, qu’elle se produise dans la Provence ou dans l’Agenais, — et dont le génie de Jasmin reste toujours l’expression la plus vive et la plus connue ! On n’a point oublié les divers morceaux du poète méridional, tous ces fruits d’une inspiration saine et charmante, l’Aveugle de Castel-Cuillè, les Deux Jumeaux, la Semaine d’un Fils, et cet autre poème de la Vigne. Jasmin a déjà toute une carrière, il est sorti du demi-jour des renommées locales. Paris a eu plusieurs fois l’occasion de l’entendre, et il n’est point jusqu’aux États-Unis où un talent distingué, M. Longfellow, a traduit un de ses poèmes, l’Aveugle. L’Académie enfin, l’Académie française l’a couronné, et cette étrange rencontre de la vivacité méridionale et de la gravité académique, Jasmin l’a célébrée dans des vers, — Langue française, langue gasconne, — où ce que cette situation avait de piquant va se confondre dans une idéale et spirituelle apothéose des deux langues, qui réussit, je crois bien, à tout donner à l’une et à ne rien ôter à l’autre. Or comment s’est formée cette nature originale qui tranche si vivement avec notre temps ? L’homme, le poète, l’acteur, l’idiome, tout se mêle, tout se confond et ne fait qu’un dans cette vie qui a bien sa réalité sous le prisme de la poésie et des succès enivrans.

« Vieux et cassé, l’autre siècle n’avait qu’un couple d’ans à passer sur la terre, quand au recoin d’une vieille rue, dans une maison où plus d’un rat vivait, le jeudi gras, derrière la porte, à l’heure où l’on fait sauter la crêpe, d’un père bossu, d’une mère boiteuse, naquit un enfant, et cet enfant,… c’est moi. » Ainsi parlait Jasmin il y a vingt ans. Il faut savoir qu’en parlant ainsi, il se vieillissait un peu, — il était jeune ! Toute poésie à part. Jasmin est né en mars 1799. Son père était un pauvre tailleur qui, tout renommé qu’il fût dans l’art des charivaris, n’en professait pas moins l’opinion que l’étoffe d’esprit ne vaut pas une autre étoffe. Sa mère était une bonne femme du peuple. Quant à la maison où il était né et où il grandissait, l’inventaire n’en eût pas été difficile à faire. « Une vieille chambre ouverte aux quatre vents, trois lits en guenille avec six vieux rideaux de toile,… un buffet souvent menacé des recors, quatre ou cinq assiettes recousues, un cruchon, deux jarres fendues,… un établi,… un chandelier tout résineux, un miroir sans cadre et enfumé, attaché au mur avec trois petits clous, quatre chaises défoncées, une besace suspendue, une armoire sans clé…,» voilà ce qu’il y avait dans le ménage, et tout cela pour neuf personnes ! La réalité de cette vie première de Jasmin, rien ne pourrait mieux la peindre que ses Souvenirs, le premier de ses poèmes où il ait été vraiment lui-même. Ce