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John. Ils se séparèrent ainsi. L’ami de John disparut dans les rues obscures. John lui-même suivit son frère sur le théâtre, où il fut présenté à M. Wroughton, à Powell, à Bannister, et à plusieurs autres comédiens attirés autour de lui par l’étrangeté de ce retour imprévu.

Grimaldi cependant, contraint de veiller à tous les détails de son rôle, allait et venait çà et là, profitant de chaque menu répit que la représentation lui laissait pour adresser à son frère quelques questions amicales. Des réponses qu’il reçut ainsi à la volée, il résultait que les campagnes de John n’avaient pas été trop malheureuses. « En ce moment, dit celui-ci à son frère en frappant sur les poches de son gilet, j’ai un petit magot de six cents livres[1]. »

— Il n’est pas sain de porter tant d’argent sur soi, lui répliqua le prudent Joe.

— Bah ! reprit l’autre ; nous autres marins nous sommes faits à ces dangers-là… D’ailleurs, tout ceci perdu, il resterait bien encore quelque chose…

Et ces derniers mots furent accompagnés d’un clin d’œil significatif. Sur ces entrefaites, Grimaldi fut appelé en scène, et M. Wroughton, resté avec John, continua l’entretien sur le même sujet. À ce généreux protecteur, encore moins qu’à tout autre, le jeune marin pouvait dissimuler sa bonne chance ; aussi lui montrait-il à la dérobée, pour résoudre d’une manière catégorique et palpable quelques doutes délicatement exprimés sur l’état de ses finances, un petit sac de grosse toile bourré de monnaie d’or étrangère, et qu’il remit dans sa poche tout aussitôt avec beaucoup de soin.

La comédie finie, Grimaldi vint reprendre son frère, et M. Wroughton les quitta presque en même temps avec les plus cordiales félicitations. Alors seulement Grimaldi put demander à John depuis quand il était à Londres, et ce qu’il comptait y faire. Le marin répondit qu’arrivé depuis deux ou trois heures, il n’avait pour le moment qu’une seule pensée, celle de se retrouver en famille. Informé que Joseph vivait avec leur mère et sa femme dans une maison assez vaste pour qu’on pût au besoin l’y loger, il témoigna le plus vif désir de s’y installer le plus tôt possible ; puis, déclarant à Joe que l’impatience où il était d’embrasser sa mère ne le laisserait pas en repos de la nuit, il demanda où il pouvait l’aller trouver. En lui donnant son adresse, Joseph Grimaldi ajouta que, pour ce soir-là, sa besogne était terminée ; si son frère voulait attendre qu’il se fût déshabillé, ils pourraient s’en aller ensemble. John trouva cet arrangement fort à son goût, et Joseph, montant à sa loge, laissa son frère sur le théâtre. L’étonnement où pareil incident devait naturellement

  1. 15,000 francs environ.