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de la leçon morale qui recommandent les Mémoires de ce bouffon naïf et sérieux. Il est apparu à Dickens barbouillé de farine et de carmin, sous ses cheveux d’emprunt hérissés de toutes parts, avec la souquenille rayée ou tigrée, les bouffettes, les collerettes du saltimbanque de carrefour. « Qu’importe, semble s’être dit le romancier, si cet homme, en dépit de tout et malgré l’apparence, est un être comme moi, vivant de la même vie, ému des mêmes joies et des mêmes chagrins ; s’il a des parens qu’il aime et auxquels il se dévoue, des amis qui comptent et peuvent compter sur lui ; si, fidèle à tel deuil sacré, a telle chère mémoire, il l’emporte avec lui jusque sur ces tréteaux où il fait tinter les grelots de la folie ? »

Qu’importe, ajouterons-nous, s’il est après tout, dans son humble sphère, un véritable artiste, — si, non content du salaire qu’on lui jette, il ambitionne encore une renommée sans cesse croissante ? Qu’importe si, — brisé par les fatigues de son rude métier, — nous le trouvons à l’heure du repos combinant des machines, des décors, des trucs, s’il étudie sa grimace hideuse, son cri sauvage, sa course haletante et désordonnée, avec autant de scrupule et d’amour que Talma ou Macrcady combinent leurs nobles attitudes, leurs colères superbes, leur terreur convulsive ? Certes nous ne confondons pas deux arts profondément séparés par le but qu’ils se proposent ; mais, en toute justice, ne pouvons-nous rapprocher des penchans analogues, des natures douées de susceptibilités identiques, et comme pénétrées de la même flamme ? N’est-il pas juste d’ailleurs que les humbles émules de ceux auxquels est échue la gloire la plus haute se trouvent relevés dans leur propre estime et dans celle d’autrui par des rapprochemens tels que ceux qu’autorisent les Mémoires de Grimaldi, — par des comparaisons qui n’ont rien de malveillant ni de méprisant pour qui que ce soit, et qui opposent simplement à la différence des carrières l’analogie du travail et du talent ?


E.-D. FORGUES.