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commençant la guerre à laquelle il les contraignait de s’associer. Il ne comptait que sur sa fortune pour refouler la défection préparée au fond des cœurs, et la rédaction même des traités signés avec les cabinets de Vienne et de Berlin à l’ouverture de la campagne de 1812 nous a montré que les corps austro-prussiens qui concouraient avec l’armée française étaient dans sa pensée des otages plutôt que des auxiliaires. Le prestige dont le maître du monde était alors environné ne lui dérobait pas la vue d’un isolement qui ne fut jamais plus complet qu’au sommet même de la toute-puissance.

Lorsque la campagne de 1813 l’eut rejeté sur l’Allemagne, vaincu, mais menaçant encore, les princes agrandis par ses bienfaits imitèrent ceux qu’il avait abaissés, suivant en cela une impulsion non moins irrésistible que celle à laquelle avaient cédé tour à tour la Prusse et l’Autriche. Les agrandissemens territoriaux octroyés aux membres de la confédération rhénane à la suite du traité de Presbourg avaient transformé ceux-ci en vassaux avoués de la France, et c’était précisément contre cette vassalité que l’Allemagne protestait tout entière par la voix de ses professeurs, les chants de ses poètes, et par les tumultueuses levées de cette Landsturm, tempête du sol qui le soulevait sous nos pas jusque dans ses dernières profondeurs.

La fatale journée de Leipzig avait fait évanouir les dernières traces de la domination française au-delà du Rhin, et les coalisés touchaient à peine ce fleuve, qu’on voyait se disloquer, vers ses plus lointaines extrémités, le fragile édifice élevé au prix d’une lutte obstinée contre la nature. La Hollande appelait dans son sein l’étranger, qui, en la délivrant des angoisses du blocus continental, faisait luire à ses regards de prochaines perspectives de paix maritime ; ses plus fervens patriotes, oublieux des luttes du passé, saluaient de leurs acclamations le prince d’Orange, qui, après un long exil, reportait enfin sur la terre natale les traditions de la patrie. La Belgique elle-même, malgré tant d’intérêts communs avec la France, ne s’était guère plus résignée à notre domination qu’elle ne l’avait fait en d’autres siècles à celle de l’Espagne et de l’Autriche. Si au début de l’empire les catholiques provinces baignées par la Meuse et par le Rhin avaient acclamé le restaurateur du culte, dont le front gardait encore la trace de l’huile sainte que venait d’y verser Pie VII, — en 1814 elles ne voyaient plus en lui que l’ennemi du saint pontife, et ses malheurs, coïncidant avec ses fautes, prenaient à leurs yeux les formidables proportions d’un châtiment céleste. Nulle part les difficultés religieuses que s’était si gratuitement créées l’empire n’avaient abouti à des conséquences politiques plus immédiates et plus menaçantes. La Belgique, inquiète et agitée, qui aurait été un embarras même pour l’empire triomphant, ne pouvait donc manquer de devenir un péril