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solennel, impliquait donc pour toutes les cours représentées au congrès de Vienne une reprise immédiate de la guerre générale. On ne s’explique pas que l’empereur ait pu méconnaître cet état tout nouveau de l’esprit public et les conséquences qu’allaient nécessairement entraîner les dispositions unanimes des cabinets. L’éloignement dans lequel l’Autriche maintenait l’impératrice Marie-Louise, l’interdiction de toute communication entre les deux époux, étaient un indice trop certain de l’adhésion de la cour de Vienne à la politique générale de l’Europe. En s’embarquant à Porto-Ferrajo pour revenir en France pendant que tous les souverains étaient encore rassemblés en congrès, l’empereur ne pouvait se faire aucune illusion sur le fait que la rupture à main armée du traité signé par ses propres plénipotentiaires, pour régler sa situation personnelle et celle des princes de sa famille[1], serait le signal d’une lutte immédiate dans laquelle la France, plus divisée contre elle-même qu’elle ne l’avait jamais été, rencontrerait en face d’elle l’Europe compacte et résolue. Quelles éventualités ce grand esprit entrevoyait-il donc dans une entreprise qui ne permettait de rien espérer d’aucun cabinet ni pour la cause personnelle de Napoléon, ni pour celle de son fils, puisque l’Autriche, qui avait déserté l’intérêt de la régence en 1814, était encore plus strictement contrainte de le répudier en 1815, sous le coup des engagemens formels pris avec un gouvernement reconnu ? Quels résultats favorables attendre d’une crise politique où l’ancien corps législatif, devenu chambre des députés, se faisait l’écho bruyant et applaudi d’idées si contraires à celles qui prévalaient sous l’empire ? Comment tenir tête à la fois aux coalisés sur la frontière et à la chambre des représentans à Paris ? Comment résister, sous le régime de la guerre et de la liberté combinées pour la première paix, à l’hostilité du parti royaliste fortement reconstitué, et aux émotions de la bourgeoisie, atteinte ou dans ses idées ou dans ses intérêts par la soudaine suspension de toutes les industries renaissantes ? Comment conjurer surtout les périls d’un concours forcément emprunté aux passions démocratiques ? et lorsqu’on éprouvait au fond une haine égale contre les théories de la constituante et celles de la convention, comment se tenir en équilibre entre les constitutionnels et les jacobins ?

Reconquérir la France avec six cents hommes, la traverser au pas de course en usant de son nom comme d’un talisman souverain pour abaisser devant soi toutes les barrières, remonter sur un trône contre lequel l’univers est conjuré, et dans la sanglante arène où une armée vient affronter l’Europe, entendre ses vieilles légions mourir en saluant

  1. Traité du 11 avril 1814.