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toute sa correspondance avec le bureau des colonies. À ces documens sont joints, comme des complémens précieux, de nombreuses lettres inédites de tous les personnages intéressés dans ce grand procès, et spécialement une correspondance secrète d’O’Meara avec un fonctionnaire de l’amirauté durant l’exercice de ses fonctions médicales à Longwood, correspondance qui infirme gravement la plupart de ses assertions postérieures.

La publication de M. Forsyth relèvera sous quelques rapports sans doute la mémoire du malheureux général. Elle prouvera que son principal tort fut de s’être résigné si longtemps à exécuter, sans réclamer son rappel, des instructions contradictoires, sinon dans leurs termes, du moins dans l’esprit qui les avait inspirées, puisqu’elles commandaient d’allier les égards les plus constans avec l’inquisition la plus minutieuse. Il n’était pas d’ailleurs une parole adressée à Napoléon qui n’impliquât la négation du caractère que la religion avait scellé de ses pompes et que tant de traités lui avaient garanti. De quelque bien-être qu’on entourât sa captivité, le refus du titre impérial, même dans les simples rapports privés, la lui fit envisager dès le début comme une injure permanente, et l’amiral Cockburn n’était pas plus parvenu que sir Hudson Lowe à lui en adoucir l’amertume.

Plusieurs fois blâmé pour s’être écarté de la stricte rigueur de ses instructions, ce dernier a certainement le droit de faire remonter jusqu’à lord Bathurst et jusqu’au ministère du comte de Liverpool tout entier la responsabilité de la plupart de ses actes, et sur ce point-là il peut avec confiance en appeler à la justice publique ; mais au malheur d’avoir à remplir durant six années une tâche à laquelle se seraient usés les plus habiles, sir Hudson en joignait une autre dont ses lettres portent à chaque page le témoignage authentique. C’était un homme tout d’une pièce, sans tact, sans grâce, tranchons le mot, sans esprit. Avec la ponctuelle raideur qu’y mettent habituellement les militaires, il faisait la police dans l’attitude où il aurait passé la revue d’un régiment. Il avait la main levée au lieu d’avoir l’oreille ouverte, plaçait bruyamment des sentinelles là où un autre plus avisé aurait employé des espions, de telle sorte que le pauvre homme montrait avec une maladresse risible toutes les ficelles qu’il aurait fallu cacher.

La conclusion la plus plausible de cet ouvrage, c’est qu’un autre gouverneur n’aurait pas réussi là où sir Hudson Lowe a si tristement échoué. Napoléon ne pouvait se résigner stoïquement à sa captivité - non que son âme fût au-dessous d’une telle épreuve, mais parce qu’il compta longtemps sur son étoile pour l’arracher à l’exil, et que, dans chaque voile arrivant d’Europe, il croyait voir l’annonce d’une