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se trouva résumer dans sa personne tous les contrastes et correspondre à tous les sentimens, de telle sorte qu’il apparut aux yeux des masses comme la personnification cyclique de la nationalité tout entière. Ce nom était le seul que sût le peuple ; il était le seul que lui enseignassent chaque matin ses maîtres. Si donc, au milieu des angoisses et des incertitudes de l’avenir, livré à lui-même et solennellement consulté, le peuple a prononcé le mot qui résumait toute la poésie de sa rude et laborieuse existence, il n’y a dans l’irrésistible retentissement d’un tel nom rien qui puisse étonner, si ce n’est l’étonnement même des hommes qui le lui avaient si souvent répété.

Des œuvres moins éphémères que des odes, moins populaires que des chansons, se préparaient sous l’influence du même esprit, et allaient surexciter à leur tour la pensée qui les avait inspirées.

Ce fut le complément de la fortune de l’empereur Napoléon de voir l’histoire diplomatique de son règne écrite par les publicistes les plus éminens de la monarchie de 18 : 50 sous le contre-coup des idées qui avaient inspiré l’opposition durant le gouvernement précédent. Tout étrangers que leurs livres dussent demeurer par leur nature aux impressions populaires, ces livres les reflétèrent visiblement. M. Bignon, auquel le mandat de l’auguste testateur avait confié le soin de défendre sa mémoire devant l’Europe, a lié toutes les parties de son œuvre par une pensée dominante. Il s’est efforcé d’établir que l’extension indéfinie des entreprises de l’empire était sortie des résistances mêmes que les cabinets avaient dès l’origine persisté à lui opposer. Quelque erronée que cette donnée soit à nos yeux, nous aimons à reconnaître qu’elle est développée par M. Bignon d’une manière spécieuse, et nous confessons volontiers que la lecture de ce livre laisse une impression généralement favorable à la diplomatie impériale, particulièrement quant aux préliminaires de la rupture avec la Russie, époque où s’arrête l’ouvrage. Cette histoire a éprouvé le double malheur de n’être point achevée par son auteur[1] et de rencontrer après sa publication la plus redoutable des concurrences. Elle a toutefois, comme œuvre apologétique, une valeur sérieuse, et à ce point de vue le livre de M. Thiers l’infirmera d’autant moins que ces deux écrits, quoique également inspirés par un sentiment très favorable à l’empire, sont d’une facture toute différente. Abondant en détails, inépuisable en intérêt, d’un naturel heureux et d’une rapidité entraînante, le récit de l’éloquent orateur n’est lié dans ses parties diverses par aucune donnée systématique. M. Thiers, le mieux renseigné des historiens et le plus facile des narrateurs, expose

  1. En exprimant ce regret, je suis loin de méconnaître d’ailleurs la valeur de certaines portions de l’œuvre complémentaire à laquelle M. le baron Ernouf, gendre de M. Bignon, a consacré ses soins et son dévouement filial. Ce travail, rédigé sur les notes de M. Bignon et d’après les documens recueillis par lui, a été continué jusqu’à la deuxième restauration.