Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1207

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marchaient ensemble sans se parler, sans se voir peut-être, isolés dans une rêverie commune. Ce fut Antoine qui le premier rompit le silence.

— Quel malheur que nous n’ayons pu continuer notre route ! nous serions entrés en mer par cette belle nuit.

— Bah ! répondit Jacques, vous avez bien le temps de la voir, la mer.

— Il me semble, reprit Antoine, que nous aurions aussi bien pu dormir la nuit sur le remorqueur et y prendre notre repas, puisque nous avions des provisions. Cela aurait toujours économisé les frais d’auberge.

— Parlez plus bas, lui dit Jacques ; il n’est pas utile qu’on sache le secret de notre bourse.

Antoine se retourna, et à quelques pas derrière lui il aperçut Hélène, qui s’était arrêtée, assise sur une barque échouée, écoutant le refrain lent et monotone avec lequel les matelots du brick, anglais accompagnaient une manœuvre.

— Il faut avouer que nous ne sommes guère galans, ni l’un ni l’autre, de laisser cette demoiselle toute seule.

— Il est vrai que je ne m’étais pas aperçu qu’elle nous accompagnait, dit Jacques.

— Je l’ignorais aussi, ajouta Antoine.

Comme ils parlaient, ils virent Hélène, qui retournait sur ses pas, sans doute pour aller à la rencontre de son père ; mais l’un de ses pieds s’étant embarrassé dans une amarre qu’elle n’avait pas vue, elle fit un faux pas et tomba à terre. Antoine et Jacques accoururent près d’elle. Hélène s’était déjà relevée : sa chute ayant eu lieu sur un sable amolli par le remou de la vague, elle avait seulement un peu mouillé ses vêtemens. Elle rassura les deux jeunes gens, qui semblaient craindre qu’elle ne fût blessée. — Je croyais mon père derrière moi, dit-elle, et son accent trahissait l’embarras qu’elle éprouvait à se trouver seule avec deux inconnus.

— Voici monsieur votre père qui vient avec le capitaine, dit Jacques, apercevant la silhouette des deux hommes à une vingtaine de pas.

— Tu me laisses seule ! dit la jeune fille à son père, qui venait de la rejoindre.

— Comment seule ! interrompit le capitaine en désignant Antoine et Jacques. N’avez-vous pas deux cavaliers ?

— Nous venons seulement de rejoindre mademoiselle, dit Antoine avec empressement.

— Est-ce que tu veux rentrer ? demanda le père d’Hélène.

— Mais non, s’écria-t-elle avec vivacité, en se rapprochant de lui comme pour lui prendre le bras.