Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

indiscret dans la maison de celui à qui il demande l’aumône ? Ceux qui disent oui appuient leur opinion sur la légende que voici : « Un religieux qui mendiait s’adressa à une femme qui, prétendant n’avoir rien à lui donner, feignit d’aller chez sa voisine chercher les provisions qui lui manquaient à elle-même. Pendant son absence, le religieux regarda furtivement dans l’intérieur de cette maison. Quel assortiment de bonnes choses il y aperçut : de la canne à sucre, du riz, des fruits, du sucre candi, du beurre clarifié!... La maîtresse du logis revint, disant qu’elle n’avait rien trouvé, et le religieux répondit : Mauvaise journée pour la communauté, j’ai vu un présage. — Lequel ? — J’ai vu un serpent qui avait la forme d’une canne à sucre, des pierres toutes semblables à des morceaux de sucre candi ; les dents du reptile étaient comme des grains de riz... Et la pauvre femme, honteuse de son mensonge, lui donna en rougissant de tout ce qu’elle avait. »

Cette façon allégorique de désigner ce que l’on veut et ce que l’on a indiscrètement aperçu est blâmée par les sages. Il est rare d’ailleurs qu’un chef de famille refuse de jeter quelques grains de riz dans le vase du mendiant à robe jaune. Faire l’aumône aux religieux bouddhistes avec foi, avec l’intention d’honorer Gôtama et les autres bouddhas, est l’une des œuvres les plus méritoires que puisse accomplir un fidèle; mais le don acquiert une plus grande efficacité encore quand il est le fruit du travail. Un ancien roi de Ceylan, qui régnait à Anourâdhapoura, avait entendu dire que « l’aumône la plus méritoire est celle qui est prélevée sur ce que l’on a gagné par un labeur personnel. » Il alla, déguisé en laboureur, travailler à un champ, et la part de riz qu’il obtint pour son salaire, il la donna au chef d’un couvent. Trois années de suite, il travailla de même à une plantation de cannes à sucre, près de la montagne de l’or (swarn-naguiri), et fit don aux religieux de la part de sucre qui lui était allouée. Cette histoire a tout l’air d’avoir été faite à plaisir; cependant, comme elle tend à honorer le travail et à porter les hommes à la charité, on voudrait qu’elle fût vraie. Il en est ainsi de cette autre petite fable qui rappelle, sauf la puérilité du dénouement, le verre d’eau donné au nom du Sauveur, dont il est question dans l’Évangile. « Un jour Gôtama et ses disciples vinrent demander l’aumône dans un village où personne ne voulut leur donner même une goutte d’eau. Une pauvre femme arriva, qui offrit à Gôtama un peu d’eau qu’elle portait dans un vase; elle versait toujours, et le vase ne tarissait pas, si bien qu’elle put en donner non-seulement au maître, mais encore h. tous les disciples. » Il va sans dire que la pauvre femme monta d’un rang dans l’échelle des êtres ; elle prit rang parmi les dévas ou dieux secondaires que les bouddhistes