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trouvèrent en possession du ciel brahmanique, et qu’ils y laissèrent, ne pouvant se décider à chasser de leurs esprits et des sphères éthérées, où Elle trône depuis tant de siècles, cette troupe lumineuse et bienveillante, si honorée des poètes hindous.


III.

L’aumône faite au passant est une des formes de l’hospitalité, et l’hospitalité a été l’une des vertus de l’antique Orient. Le bouddhisme ne l’a pas introduite dans l’Inde; mais, comme le dogme de la métempsycose, il l’a étendue au-delà des limites entrevues par les générations précédentes. On ne peut trop le répéter, l’homme n’est à ses yeux que le plus parfait des êtres organisés, destiné à toujours revivre pour toujours mourir. Il a vécu lui-même et vivra peut-être encore sous une enveloppe plus grossière. Voilà pourquoi les animaux ont droit à l’aumône comme l’homme lui-même. « Celui qui donne de la nourriture aux chiens, aux corneilles (classés au rang des bêtes immondes par le brahmanisme), avec l’intention d’acquérir des mérites, aura en récompense longue vie, prospérité, beauté, pouvoir et sagesse durant cent existences. » Ainsi s’expriment les textes sacrés, et ils ajoutent : « Celui qui donne de la nourriture à un homme qui n’observe pas les préceptes obtiendra ces mêmes récompenses durant mille existences... » La récompense s’élèvera au décuple si l’aumône s’adresse à un pieux observateur de la loi, — d’où il résulte qu’un chien, une corneille, valent la dixième partie de l’homme créé à l’image de Dieu! Jamais doctrine ne ravala plus bas l’orgueil humain.

Les religieux de Ceylan, quand ils font leur tournée de chaque jour, se montrent scrupuleux observateurs de la loi qui leur défend de demander avec insistance. Individuellement, ils se contentent de peu, et pratiquent sans murmure la pauvreté, dont ils font profession ; mais quand il s’agit des intérêts de la communauté, l’esprit de corps s’éveille. Ces hommes pacifiques et indifférens aux biens de cette vie savent défendre avec énergie leurs possessions contre les envahissemens des voisins. Il arrive trop souvent que les cultivateurs des vallées envoient leurs bestiaux paître l’herbe tendre dans les pâturages appartenant aux monastères, car les terres des religieux sont les plus riches et les mieux entretenues que l’on rencontre dans l’intérieur de l’île. Elles proviennent de dotations anciennes dont le souvenir est consacré par des inscriptions gravées sur des piliers de pierre ou sur les rochers. Du temps des rois de Kandy, qui en étaient les donateurs, ces terres, exemptes de toute taxe et de tout impôt, payaient aux couvens les redevances dues aux souverains. Au commencement du XVIIe siècle, les monastères possédaient