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au néant, qu’ils adressent leurs supplications et leurs vœux : ce sont ses reliques qu’ils adorent. De toutes les prières, la plus efficace est celle qui consiste à invoquer les trois saranas ou refuges, — Bouddha, la vérité, la communauté des religieux. Les Singhalais de toutes les classes attachent une vertu extraordinaire à cette profession de foi, et une foule de légendes attestent les miracles accomplis par le seul fait de la récitation de cette triple formule. En voici une preuve qui intéresse particulièrement un peuple d’insulaires et de navigateurs dont la vie se passe in periculo maris : « Jadis six cents marchands s’étaient embarqués pour aller trafiquer en pays lointain. Pendant le voyage, il s’éleva une violente tempête qui les mit en grand péril. Un seul d’entre ces marchands demeurait calme et impassible; les autres, qui étaient en proie aux plus vives terreurs, lui ayant demandé pourquoi il ne partageait pas leurs angoisses, il leur répondit qu’un religieux lui avait appris avant le départ la triple formule. Il eut même la charité de la leur enseigner à son tour, et voici les cinq cent quatre-vingt-dix-neuf marchands qui la répètent par centaines de fois. Le navire commençait déjà à sombrer. A la première centaine, l’eau leur venait à la cheville du pied; à la seconde centaine, elle leur montait aux genoux; à la troisième centaine, elle les couvrait par-dessus les épaules. Le navire périt et les marchands aussi, mais ce fut pour renaître immédiatement après dans un monde surhumain... »

La moralité d’une pareille histoire peut se résumer dans cet axiome : La foi passe avant les œuvres. C’est encore la foi qui a porté les bouddhistes à adorer tout ce qui a appartenu au réformateur : ses reliques, les lieux où il a vécu, et enfin ses images, dont il existe des fabriques à Ceylan. Gôtama-Bouddha n’avait rien dit touchant le culte. Ses premiers disciples rendirent hommage tout d’abord à l’arbre sacré sous lequel le maître, après être parvenu, à force de méditations, au dernier degré de sainteté, avait détruit en lui-même le principe des existences futures. Les religieux de Ceylan affirment que cet arbre fameux ne peut plus être visité à cause de la dévastation des pays circonvoisins; mais, pour en perpétuer la mémoire, ils aiment à planter dans leurs couvens de jeunes tiges de la même espèce. Aux plus vieux moines de la communauté est confié le soin de mettre en terre l’arbre symbolique, parce qu’ils sont eux-mêmes près d’arriver au terme de l’existence. La cérémonie serait moins efficace si elle était dirigée par des religieux encore à la fleur de l’âge, a et qui, disent-ils naïvement, désirent toujours rester quelque temps en ce monde avant de passer dans un autre. » Autour de la plate-forme sur laquelle l’arbre est planté, les religieux se bâtissent des cabanes de feuillage, et derrière le cercle des habitations temporaires, les gens du voisinage en élèvent d’autres plus solides et plus