Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/204

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du message du président américain est celui qui annonce la négociation d’un traité de commerce avec la France. Enfin, si l’on veut se faire une idée de la fortune matérielle des États-Unis, les rapports officiels constatent un excédant de recettes de plus de 32 millions de dollars. Ainsi finit cette année pour l’Union américaine. Les années qui viendront amèneront sans nul doute pour elle des prospérités nouvelles. Aux peuples qui ont cette énergie pour travailler à leur propre destinée, on ne saurait plus souhaiter que la modération dans la fortune.

CH. DE MAZADE.

LITTÉRATURE DRAMATIQUE. — LA PIERRE DE TOUCHE.

La richesse est plus difficile à porter que la pauvreté : — telle est l’idée que MM. Jules Sandeau et Émile Augier se sont proposé de développer dans la Pierre de touche. Cette idée assurément n’a rien de vulgaire et se vérifie chaque jour. Bien des vices qui demeuraient enfouis dans le cœur, aux prises avec la pauvreté, se révèlent et font explosion dès que la richesse leur offre un libre champ. C’est à mon avis un excellent thème de comédie ; reste à convertir ce thème en action. Il faut que le spectateur devine l’idée génératrice de la comédie sans jamais l’apercevoir toute nue. MM. Jules Sandeau et Émile Augier ont créé pour la mise en œuvre de leur pensée une série de personnages qui ne manquent ni de vraisemblance ni de vie. Le peintre Spiegel et le musicien Wagner sont deux caractères très bien dessinés. Spiegel s’est dévoué à la gloire de Wagner, et sacrifie l’art au métier pour lui laisser le temps de composer une œuvre puissante. Wagner accepte le dévouement de Spiegel comme un tribut commandé par son génie. Nature égoïste et jalouse, c’est à peine s’il songe à remercier celui qui lui fait ces loisirs féconds. Entre les deux amis vient se poser la gracieuse figure de Frédérique, orpheline recueillie par Wagner, mais qui serait tombée dans la détresse sans la piété laborieuse de Spiegel. Ces trois personnages sont traités avec une rare délicatesse.

Le baron de Berghausen et la margrave de Rosenfeld n’ont peut-être pas autant de vivacité, autant de relief, mais se recommandent par des traits ingénieux. Quant à Dorothée, nièce de la margrave, c’est un type de niaiserie qui a plus d’une fois égayé l’assemblée. Le baron et la margrave représentent l’intrigue, comme Spiegel et Wagner représentent le dévouement et l’égoïsme. Notons seulement, pour être juste envers les auteurs, que l’égoïsme de Wagner échappe aux yeux de Spiegel et de Frédérique, aveuglés par leur affection. Il s’agit de révéler en plein ce vice hideux, comprimé, à demi masqué par la pauvreté. Le comte Sigismond d’Hildesheim, qui avait entendu un soir sans être vu les premières mesures d’une symphonie de Wagner, qui avait pénétré dans le modeste réduit des deux amis, et savouré en vrai dilettante l’œuvre entière du jeune musicien, lui laisse par son testament un revenu de quatre cent mille florins. Cet héritage inattendu, qui devrait assurer le bonheur de Spiegel, de Wagner et de Frédérique, ne sert qu’à démasquer l’égoïsme du jeune maestro. À peine enrichi par les dernières volontés du comte Sigismond, il oublie ses amis et rêve la noblesse ; il oublie la grâce, la beauté, la tendre affection de Frédérique, dont il voulait faire sa femme, pour