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premier n’était cependant pas étranger au second, car le pape devait se déclarer ouvertement en faveur de celui des deux compétiteurs qui, par son âge, sa gloire, sa puissance militaire, lui semblait le plus capable d’arrêter les progrès de l’invasion musulmane. Léon X ne semblait occupé dans le moment que de cet immense péril. Sélim Ier, continuant l’œuvre de ses plus heureux et de ses plus terribles prédécesseurs, s’apprêtait à attaquer l’Occident. En trois années, de 1514 à 1517, il avait vaincu le sophi de Perse Ismaïl à Tschaldiran, et lui avait enlevé le Diarbekir, Orfa et Mossoul, entre l’Euphrate et le Tigre; il avait battu complètement le Soudan d’Egypte à Alep et au Caire, détruit l’empire des Mamelucks, occupé la Syrie, la Palestine, l’Egypte, reçu la soumission du chérif de la Mecque et de beaucoup de tribus arabes. Après avoir consolidé ses conquêtes et créé une puissante flotte de plus de deux cents voiles, il était rentré à Constantinople, plus menaçant que jamais pour l’Europe, dont ses armes n’avaient été détournées que par la guerre si vite achevée d’Orient.

L’approche du danger avait ému le chef spirituel de la république chrétienne. Il craignait que les Turcs, établis sur le Bosphore, maîtres de la Bessarabie, de la Bulgarie, de la Roumélie, de la Servie, de la Bosnie, déjà parvenus dans la Croatie et sur les côtes de la Dalmatie, n’attaquassent en même temps le boulevard le plus avancé et le centre même du christianisme par une invasion en Hongrie et une descente en Italie. Il poussa de bonne heure le cri d’alarme, et s’efforça d’unir les rois et les peuples de l’Occident, alors en paix les uns avec les autres, dans une nouvelle guerre sainte contre l’ennemi commun de leur foi et de leur indépendance. Il fit décréter la croisade dans la douzième et dernière session du concile de Latran, autorisa les souverains confédérés à Cambrai à tirer du clergé par des décimes l’argent qu’exigerait la levée des troupes, et leur adressa un long mémoire pour concerter avec eux la conduite de l’expédition sacrée.

Chacun d’eux proposa un emploi différent des forces chrétiennes. François Ier déclara qu’il consacrerait armes, hommes, chevaux, canons, vaisseaux, argent, sa vie même, à une si sainte et si nécessaire entreprise. Il s’engagea, pourvu qu’on préparât les fonds nécessaires, à réunir quatre mille hommes d’armes, huit mille chevau-légers, cinquante mille hommes de pied, et, suivi des Écossais, des Suisses, des Lorrains, des Savoisiens, des Vénitiens, des Florentins, des Siennois, à attaquer les Turcs par le Frioul et l’Illyrie, tandis que l’empereur, les rois de Hongrie et de Pologne, les princes d’Allemagne, marcheraient contre eux du côté de la Hongrie, et que les rois d’Espagne, de Portugal, d’Angleterre, leur feraient face dans la Méditerranée.