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qui furent ceux du pacificateur de la France, sont déjà posés dans les premiers cahiers du tiers aux assemblées d’Orléans et de pontoise. Puis, en post-scriptum de ces vœux honnêtes et sages, on voit aussi se glisser la demande que les états-généraux soient convoqués régulièrement pour tempérer l’omnipotence de l’autorité royale. Ainsi un désir, un soupçon de liberté, naissant timidement du sein de tant de lumières et de richesses accumulées, vient interrompre cette fois encore la prescription du pouvoir absolu.

Ici encore, si le tiers-état eût su réaliser ce qu’il avait conçu, s’il avait su vouloir fermement ce qu’il avait pensé sagement, s’il avait su faire prévaloir entre les cabales et les factions, entre la ruse des uns et le fanatisme des autres, le plan de politique nationale dont il s’était fait l’interprète, non-seulement il eût épargné à la France des années de calamité et d’orage, mais il eût définitivement fait sa place et pris son assiette au rang des pouvoirs politiques. Jamais occasion ne fut plus belle et plus facile, et Dieu même semblait l’y convier. Dieu avait fait naître dans ses rangs un de ces hommes tels qu’il les forme par grâce et ne les montre que rarement à la terre, un de ces hommes en qui l’âme et le génie s’élèvent et se développent ensemble, et chez qui l’amour du bien maintient énergiquement le sentiment du vrai. Le chancelier de L’Hôpital était né dans la bourgeoisie avant d’entrer dans les conseils du roi. Il avait inspiré la politique du tiers-état; il le représenta, il le défendit à la cour avec une persévérance inébranlable. Planant du haut de sa vertu au-dessus des passions et des intrigues qu’il démêlait d’un regard perçant, sa droiture était plus fine que le machiavélisme de Médicis, et sa charité plus ardente que l’ambition des Lorrains. Le maintien d’un pareil homme au pouvoir dans un tel temps est un de ces hommages consolans que l’autorité du bien arrache de loin en loin à la corruption humaine. Si L’Hôpital eût été soutenu par une volonté un peu énergique dans le tiers-état, s’il avait pu appeler à sa défense, dans les fréquentes convocations d’états-généraux, la majorité au moins d’un des trois ordres, il aurait pu triompher dans sa lutte obstinée pour la tolérance. Il succomba, l’âme navrée et non ébranlée. Il mourut à la peine, de douleur encore plus que de fatigue, et le massacre de la Saint-Barthélémy doit compter en lui une victime de plus. Le tiers-état, qui l’avait inspiré, ne l’avait pas défendu. Le rôle actif du tiers, dans ces agitations, fut aussi incertain et aussi pauvre que sa première pensée avait été nette et élevée. Subissant à son tour l’influence de passions qu’il ne partageait pas, prenant la responsabilité de crimes qu’il n’avait pas conçus, complice involontaire, mais complaisant des massacres de Paris, puis du meurtre de Guise, puis de la rébellion de la ligue et de l’entrée des étrangers dans la capitale, jouet de toutes les intrigues et