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instrument de toutes les ambitions, le tiers-état perdit là en considération ce qu’il avait gagné pendant la paix en influence et en force. A la fin de la ligue, le bourgeois de Paris, avec sa versatilité quotidienne, ses terreurs successives, ses désirs contradictoires, était devenu un vrai personnage de comédie. Les naïves confidences de Pierre de l’Étoile nous font pénétrer au vif dans cet état de trouble d’un esprit sage, mais faible, désorienté par les révolutions et comme étourdi du bruit du canon. On le voit, fanatique dans la rue, humble les jours de procession, se raillant des prêtres et quelquefois de la religion à portes closes, gémissant du désordre et le tolérant, y applaudissant même au besoin. dans la mesure de la nécessité et de la prudence, prompt également à s’abattre et à se distraire, se consolant et croyant même se laver de ses faiblesses par quelque plaisanterie discrète sur les maîtres du jour, ménageant beaucoup M. de Mayenne, mais prêtant l’oreille de loin aux progrès du libérateur qui s’approche, et que M. Thierry, par une expression éloquente, appelle le L’Hôpital armé.

Il arriva en effet, et en armes, imposant par l’édit royal de Nantes cette tolérance mutuelle des cultes que les premières assemblées avaient exigée presque comme un droit naturel, faisant encore cette fois de la liberté une faveur et de la justice un bienfait. Encore une fois, du sein des agitations civiles, l’autorité royale sortit plus populaire, mais aussi plus arbitraire et plus absolue que jamais. Ces mots étonnent quand on parle de Henri IV. Personne en effet, que je sache, ne s’est jamais imaginé de se demander si le gouvernement de Henri IV, pendant ses glorieuses, mais trop courtes années, fut libéral ou despotique. Il fut aimé, il fut respecté, il fut obéi, il fut béni; voilà tout ce qu’on en sait et tout ce qu’on en pense. La vérité est qu’il n’y eut jamais peut-être de pouvoir plus étendu que celui dont Henri IV jouit de 1594 à 1610, entre la ligue et Ravaillac; mais s’il n’y eut jamais d’autorité moins limitée, il n’y en a peut-être jamais eu non plus dont te poids ait été moins senti par ceux qui le supportaient. Jamais joug ne fut à la fois et plus fort et plus léger, jamais rênes moins tendues ne continrent et ne guidèrent mieux l’élan d’un char. Toutes les classes de la société, presque également obéissantes, se croyaient presque également favorisées et maîtresses. C’est que Henri IV, avec son caractère souple et ses facultés variées, les représentait, les résumait toutes en sa personne. L’originalité du caractère de Henri IV, qu’on peut envisager par tant de points de vue, et dont on faisait dernièrement une analyse si éloquente, réside peut-être au fond dans cette union de qualités diverses empruntées aux différentes aventures de sa vie, à l’éducation agitée de sa jeunesse. Il avait le sang, la figure et l’épée d’un gentilhomme, avec l’application d’esprit et la modération d’âme d’un membre du tiers. Fils de