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et qui font de la démocratie royale la moins solide comme la moins noble de toutes les institutions politiques ?

Il ne faut pas aller chercher bien loin en effet les causes de la catastrophe effroyable qui a englouti la monarchie française si tôt après son triomphe : elles ressortent tout naturellement de la constitution même que, profitant des fautes de ses adversaires, elle avait réussi à se donner. Il faut les faire comprendre sans détour et sans craindre d’offenser la mémoire d’une grande institution qui ne s’est perdue que par les excès de la puissance qu’elle devait à sa gloire et à ses bienfaits. Ayant autour d’elle abaissé toutes les têtes et asservi tous les cœurs, la royauté demeura seule pour supporter tout le poids de la destinée, et elle éprouva bientôt ce que lui avait prédit le cardinal de Retz : c’est qu’il n’y a que Dieu dans le monde qui soit de force à supporter la solitude.

La faiblesse de cette situation isolée, son danger certain, se conçoivent sans peine. En allant chercher habituellement ses ministres dans les rangs du tiers, la royauté faisait un acte de libéralité intelligente et populaire ; mais cette règle de conduite, quelque louable qu’elle pût être, n’était pourtant pas sans péril. Elle répandait dans toute la nation un sentiment général d’ambition, elle familiarisait tous les Français avec l’idée qu’on pouvait monter des plus humbles rangs aux emplois les plus élevés, et toutes les imaginations s’accoutumaient ainsi à franchir d’un bond tous les degrés de l’échelle politique. La royauté, ne pouvant pas multiplier à l’infini ses favoris, après avoir excité tant de désirs ambitieux, était alors impuissante à les satisfaire, et hors d’elle il n’y avait rien pour personne, nul aliment ni d’activité ni d’esprit, nulle puissance à exercer, nul renom à acquérir. Ceux qu’elle ne distinguait pas se sentaient refoulés sans espoir dans l’obscurité et dans l’inaction. Par degrés, toute la nation française se trouva ainsi partagée comme en trois nouveaux ordres, des employés, des solliciteurs et des critiques. Les premiers étaient humbles, les seconds mécontens, les troisièmes désœuvrés. Les deux derniers, de beaucoup les plus nombreux, ne tardèrent pas à faire contre les institutions existantes une coalition redoutable. Du dépit et de l’oisiveté réunis naquit un esprit frondeur et vague, railleur et abstrait, qui corrompit les plus généreuses tendances du XVIIIe siècle. Toute la partie de la nation qui n’était pas au service du roi, n’ayant aucune part à la responsabilité du pouvoir et n’ayant rien à faire qu’à disserter, se désennuya dans un mélange d’opposition taquine et de spéculations chimériques. Sur ce sol nivelé où on n’avait laissé subsister les souches d’aucune vieille institution ni aristocratique ni populaire, une philosophie politique creuse et fausse germa et grandit, comme ces végétations parasites qui étendent leurs bras épineux sut