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C’étaient d’abord des arbustes et des buissons de fleurs, puis deux escaliers en fer à cheval qui montaient à une estrade ornée de colonnes et de balustrades. Il était évident qu’on avait réuni le péristyle du temple et une cour intérieure sous un même toit formé de nattes suspendues. Cela composait un ensemble très vaste et très original; les degrés de l’escalier, le sable de la cour étaient tapissés de manière à imiter le plancher d’un appartement; des lanternes de verre pendaient çà et là, et des tableaux représentant des paysages ou portant des inscriptions en grands caractères couvraient ces lambris improvisés.

On nous mena ensuite dans une pièce carrée et ornée de colonnes de bois peint et sculpté; dans le milieu, une large table de granit était couverte d’arbustes et d’arbres nains au-dessus desquels voltigeaient des oiseaux d’un plumage charmant et varié. Au fond s’ouvrait une espèce d’alcôve très profonde, qui devait, en temps ordinaire, contenir l’autel de quelque divinité; elle était bordée de chaque côté d’une rangée de fauteuils en bois brun, aux bras et aux dossiers coupés à angles droits, et elle se terminait par un divan. M. de Lagrené s’assit, près de Ki-yng, sur le divan, où il n’y avait de place que pour deux personnes, séparées par une tablette portant des tasses. Houang, Pan-se-tchen et Tsaô se placèrent sur des fauteuils, du côté de M. de Lagrené; notre interprète, l’amiral et moi, du côté de Ki-yng; le second secrétaire et quelques attachés de l’ambassade, M. d’Harcourt, La Hante, Mac-Donald, La Guiche, Xavier Raymond, et quelques officiers de la division purent aussi s’asseoir; les autres se tinrent debout, mêlant leurs uniformes aux longues robes des mandarins. Il y avait entre chaque fauteuil une petite table, sur laquelle on mit, à côté de chacun de nous, une tasse de lait d’amande chaud et délicieux, et ensuite du thé sans sucre, dont le goût très prononcé ne me plut que médiocrement. La visite se passa en complimens, comme celle que le vice-roi avait faite quelques jours auparavant, puis on se rendit dans la grande salle. Une grande table avait été dressée sur l’estrade, et tout le monde put y prendre place. On nous servit des nids d’oiseaux, des holothuries, des ailerons de requin, et tous les mets de la cuisine chinoise. Les pâtisseries, les confitures et les sucreries de tout genre s’y trouvaient en grande quantité. Ki-yng fit remarquer à M. de Lagrené des gâteaux avec des caractères tracés dans la pâte et qui signifiaient — amitié pour dix mille ans. On nous présenta aussi du vin des Montagnes-Neigeuses et du vin des Sept-Principes; c’étaient des breuvages détestables, mais on avait eu la galanterie d’y joindre du vin de Champagne. Ce vin, qui du reste n’avait jamais été récolté en France et qui venait probablement du cap de Bonne-Espérance, joua un fort mauvais tour au savant Tsaô. C’est un usage en Chine, et qui date de trois mille ans, que de boire