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des santés, et, quand on veut être très poli, on doit vider son verre à chaque toast. Tsaô se trouvait à un bout de la table, près d’une troupe joyeuse de jeunes attachés d’ambassade et d’élèves de marine qui, se succédant tour à tour, lui portaient coup sur coup, avec la liqueur traîtresse, des santés auxquelles il faisait honneur, en se conformant scrupuleusement aux lois de la civilité chinoise. Nos étourdis riaient de ses grimaces, de ses saluts et de ses grâces aussi disgracieuses que possible ; mais tout a un terme, et Tsaô tout d’un coup chancela et roula sous la table : on fut forcé de l’emporter. Ki-yng se conduisit encore dans cette circonstance en homme du monde : il ne fit pas un geste, ne dit pas un mot de blâme ou d’excuse; il eut l’air de ne s’être aperçu de rien.


II.

Le ministre de France et le commissaire impérial eurent plusieurs conférences, et tombèrent d’accord sur les principes généraux du traité, qui avait été rédigé avec une grande netteté et une grande facilité de travail par M. de Lagrené. Lorsque toutes les bases eurent été posées et qu’il s’agit d’aborder le texte du traité, Ki-yng dit à M. de Lagrené : « Nous sommes tous les deux les représentans de l’affection que se portent deux grands monarques; nous ne pouvons pas discuter entre nous, cela ne serait pas convenable : nous ne devons nous parler qu’en parfaite harmonie, et nous laisserons la discussion à nos subordonnés. »

il fut donc convenu que Houang et moi nous aurions des conférences tantôt chez moi, tantôt à la pagode de Ki-yng; Pan-se-tchen et Tsaô furent adjoints à Houang, et M. d’Harcourt fut chargé de la rédaction des procès-verbaux.

Nous avions dans M. Callery un excellent interprète, et qui possédait aussi bien la Chine que le chinois. Nos conférences se passèrent donc avec un ordre et une contenance qui étaient au niveau de ce qu’on peut rencontrer de mieux en Europe. Houang traitait les matières économiques et politiques avec une intelligence aisée et une science qui n’était pas toujours très avancée, mais qui était au moins sans pédantisme; surtout il était conciliant et il savait ne pas prolonger les discussions sur les petites choses.

J’avais lu bien des livres sur la Chine, mais rien ne me fit comprendre la civilisation chinoise comme ces conférences. Ce travail en commun, ces controverses familières sur un traité qui renfermait dans ses divers articles des questions de droit. Public, de droit civil, de politique et d’économie politique, me firent pénétrer en quelque sorte dans l’intelligence de Houang, tyt par conséquent dans la civilisation de son pays, dont Il est un des hommes les plus distingués.