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va à Pékin. » Je lui fis comprendre qu’en Chine on paie l’impôt en nature, et que les recettes de l’empire pourraient charger bien des flottes, tandis qu’en France, où il se paie en argent, les sommes qui le représentent peuvent tenir sur une feuille de papier et voyager, comme une lettre, par la poste. J’eus d’autant moins de peine à expliquer à Houang ce mécanisme, que les négocians chinois connaissent la lettre de change.

Le trésorier me parlait aussi de la vie élégante de Pékin. On y a des chevaux, des voitures, et c’est la mode de conduire sa voiture soi-même, comme de monter à cheval; on y a même des voitures de remise et quelque chose comme nos fiacres. Trois théâtres y représentent des comédies, des drames ou des pantomimes bouffonnes. La salle est circulaire comme étaient les cirques antiques, et la scène est placée au milieu; les acteurs s’habillent en dessous. On y a, comme chez nous, un parterre et plusieurs rangs de loges. La société de Pékin est une société d’hommes; on joue aux cartes et aux échecs; on fume, on prend du thé; on discute sur l’histoire ou la poésie; on récite des vers ou l’on fait des bouts-rimés; on fait venir des danseuses ou des musiciens; il y a même des espèces de clubs où se tiennent certains soirs des réunions littéraires ou gastronomiques. Quant aux femmes, elles reçoivent leurs amies ou leur rendent visite; elles leur donnent des dîners ou des soirées; elles s’occupent des enfans, et quelquefois elles assistent, chez leurs maris, à des réunions de proches parens ou d’amis intimes, nommés, par un terme propre à la langue chinoise, amis jusqu’à la femme.

C’est vraiment une chose digne de remarque comment, sur les points les plus éloignés du globe, les hommes, sans avoir de rapports entre eux, se développent, dans les différentes phases de la civilisation, suivant des lois communes, et comment, même dans les petites choses, tout révèle leur unité d’organisation. Ainsi les Chinois ont découvert la poudre comme nous et avant nous; il en est de même de l’inoculation, de l’imprimerie, des journaux, des codes, des clubs, des bouts-rimés, du magnétisme et des fiacres; ils ont encore des monts-de-piété où l’on prête sur gages comme chez nous, et sous la surveillance du gouvernement. Cette similitude se montre jusque dans ces frivoles inventions de la mode qui n’ont pas en quelque sorte de raison d’être, et dont l’existence, tout à fait indifférente en elle-même, peut paraître un caprice du hasard. Ainsi les visites du premier jour de l’an sont un vieil usage chez nous; mais on s’est avisé depuis quelques années, au lieu de les faire soi-même, d’envoyer simplement son nom sur une carte. Eh bien ! depuis trente siècles les Chinois s’envoient, le premier jour de l’an, des cartes de visite.

Une manie de ce siècle, c’est celle des autographes; on en a des