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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/323

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le lai de Gugemer[1], la tendresse et l’amour à des chasseurs endurcis, qui passent leur vie à courir les bois sans s’arrêter pour regarder les femmes, comme Hippolyte avant qu’il eût rencontré Aricie. Ils adoptent les orphelins, ou ramènent sous le toit hospitalier des ermites et des moines, comme les chiens du Saint-Bernard, les voyageurs égarés au milieu des neiges et des bois. Malgré leur nature paisible, ils s’associent aux exploits des guerriers et les guident dans leurs expéditions aventureuses. Dans la Chanson des Saxons, un cerf passe le Rhin à la nage, pour indiquer à l’empereur d’Occident l’endroit où il doit jeter un pont sur le fleuve. C’est un cerf qui dirige la marche de l’armée de Clovis contre Alaric. Enfin, quand les Sarrasins envahissent l’Italie et chassent le pape, qui implore le secours des Français, c’est encore un cerf, conjuré par les prières de Charlemagne, qui révèle aux défenseurs du saint-siège un passage à travers les Alpes.

Les oiseaux, à qui l’antiquité attribuait, ainsi que nous l’avons vu, la connaissance des mystères de l’avenir, gardent dans la tradition chevaleresque quelque chose de leur instinct révélateur. Philippe Mouskes, dans sa chronique rimée, raconte qu’au moment où l’empereur Charles se disposait à partir pour l’Orient, un oiseau qui parlait aussi bien qu’un homme lui apparut et voltigea devant lui en répétant ces mots : Franz, que dis ? Franz, que dis ? Charles le suivit et fut tout étonné d’arriver aux portes de Constantinople sans avoir cessé un seul instant de marcher et sans éprouver cependant la moindre fatigue. Lorsque Arthur disparut de ce monde, sa sœur, soupçonnant qu’il n’était point mort, et qu’il reviendrait un jour affranchir sa patrie, alla cacher ses armes dans une forêt du pays de Galles ; de longs siècles s’écoulèrent sans qu’on eût pu, malgré les plus actives recherches, retrouver ces reliques guerrières[2], mais un jour que le roi d’Angleterre Édouard Ier était venu chasser chez les Gallois, un oiseau se mit à voltiger devant lui comme pour l’inviter à le suivre. Le roi le suivit en effet, et à chaque arbre où se percha l’oiseau, il trouva suspendus avec des chaînes de fer — ici un bouclier, là un casque, plus loin un haubert, et enfin une épée dont la lame portait cette inscription : Moi, maître Rigaudin de Galles, j’ai forgé ce glaive en l’an de Notre-Seigneur 466. C’étaient bien là, on n’en pouvait douter, les armes d’Arthur ; c’était bien là le bois sauvage voisin du champ de bataille où périt Mordret. Émerveillé de cette découverte, le roi Édouard emporta le casque, l’épée, le haubert, et remercia l’oiseau. Celui-ci prit son vol. vers le ciel, et l’on a cru pendant longtemps que c’était l’âme d’Arthur qui s’était montrée sous

  1. Poésies de Marie de France. Paris, 1832, in-8o, t. Ier, p. 57.
  2. Lud. van Veltliem. — Spiegel, Hist. III. B., c. 21-85.