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cette forme. Dans les Niebelungen, un. rossignol révèle de même à Siegfried l’existence de Brunehilde et le conduit à la conquête du château environné d’un cercle de feu, où cette jeune et belle femme est retenue captive.

Voilà bien des prodiges sans doute, et cependant ils ne suffisaient point encore à l’imagination désordonnée des conteurs, à la crédule et naïve curiosité des bonnes gens du moyen âge. Après avoir fait la part de la morale en montrant des chevaux vertueux, des lions sensibles qui se noient par amitié pour leur maître, des cerfs philanthropes et des oiseaux savans qui se font les guides complaisans des héros et des princes, il fallait bien aussi faire la part de la terreur, et rehausser encore les qualités des animaux vraiment chevaleresques par le contraste de la méchanceté et de la perfidie des animaux malfaisans. Êtres indécis entre l’homme et la bête, les géans et les nains, enfans dégénérés des pygmées et des cyclopes, jouent dans les traditions chevaleresques le même rôle que Satan dans les légendes pieuses. Leur mission spéciale est de s’opposer sans cesse aux entreprises des chevaliers, et de les contrarier dans tout ce qu’ils pourraient faire de méritoire aux yeux de Dieu et de profitable à leur salut. Les dragons, qui sont comme eux les ennemis irréconciliables des paladins, les secondent dans cette œuvre d’iniquité, et c’est surtout dans les romans du cycle d’Arthur, c’est-à-dire dans la tradition celtique, qu’ils se montrent avec leur caractère redoutable et leur perversité fantastique. Tantôt devenus les emblèmes des conquérans et des vaincus, dragons rouges ou dragons blancs, ils représentent les Celtes et les Saxons, et, gardant chacun leurs haines nationales, ils se livrent des combats acharnés sous la terre, qu’ils font trembler d’un pôle à l’autre, ou dans les nuages, ce qui cause des ouragans terribles et des pluies de sang. Tantôt ils représentent l’esprit du mal, et alors, comme dans les récits hagiographiques, ils fournissent le sujet d’une foule d’allégories mystiques et morales. Les combats contre les dragons deviennent pour les chevaliers l’épreuve solennelle de leur vertu. Malheur à ceux qui ont trahi les devoirs de leur noble profession ! ils sont croqués tout armés par ces monstres, comme une noisette par un écureuil. Le chevalier loyal et fidèle, au contraire, ne manque jamais de les enferrer du premier coup, fussent-ils magiciens et longs de cent coudées, ce qui prouve que le courage et les bonnes armes ne sont rien sans les bonnes œuvres. Les chats-huans monstrueux, les pores sauvages gros comme des taureaux, les basilics qui portent des émeraudes sur la tête, l’hippogriffe, fils de la jument et du griffon, qui unit au corps du cheval les plumes, les ailes, la tête et les griffes de son père[1], les cerfs

  1. Arioste, Roland furieux, ch. IV, st. 5.