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ailés, les crabbes gigantesques, les puces armées de cornes, les fourmis-loups, figurent à côté des dragons dans la zoologie fantastique de nos vieux poèmes. Seulement, ici encore comme dans les légendes et les Bestiaires, la fable sert toujours de prétexte à l’enseignement moral. Dans les légendes, en effet, la vie des saints est une lutte perpétuelle contre Satan, et ceux-là seuls sont vaincus qui veulent se laisser vaincre. Il en est de même dans les épopées chevaleresques : la vie des preux est un combat continuel contre les monstres; mais les dragons ne dévorent que ceux qui se laissent prendre aux trompeuses amorces du péché, ou qui dorment quand leurs ennemis veillent pour les surprendre.


II. — LES ANIMAUX DANS LE BLASON.

En étudiant les animaux adoptés par la symbolique chrétienne, nous avons constaté que l’art les avait tous empruntés à la zoologie des Bestiaires, des Hexameron et des encyclopédies du moyen âge. Le blason a cherché ses emblèmes à la même source. Nous ne discuterons point ici la question si souvent débattue de l’origine des armoiries; nous ne rechercherons point, comme nos anciens héraldistes, quel était le blason de Paris, lorsque, après avoir fondé Troie, il vint bâtir sur les bords de la Seine la capitale du royaume de France. Quand on veut toucher aux origines, la certitude échappe constamment. Il nous suffira donc, comme point de départ, de fixer à la fin du XIe siècle la première apparition des emblèmes héraldiques.

Les animaux des armoiries, comme ceux des légendes, des poèmes chevaleresques, des monumens religieux, se divisent en deux classes distinctes, comprenant, — l’une ceux qui existent réellement, — l’autre ceux qui appartiennent aux monstruosités tératologiques ou fabuleuses. Le lion, le loup, le cheval, le lièvre, l’hermine, l’écureuil, le daim, le porc-épic, l’agneau, le chat, le crocodile, le singe, le bélier, le dauphin, la tortue, l’écrevisse, le scorpion, les cloportes, les abeilles, l’aigle, le corbeau, la grue, l’épervier, le coq, le cygne, le paon, la chouette, sont, parmi les types de la nature, ceux qui reparaissent le plus souvent, de même que parmi les types fabuleux, les plus fréquemment reproduits sont le dragon, la licorne, la harpie, le phénix, le griffon, l’amphisbène, la chimère, l’hippogriffe et même Pégase. Considérée au simple point de vue de la représentation matérielle, la zoologie héraldique est une véritable déformation de la nature. Ainsi, comme dans la terre de prestre Jean ou les voyages fabuleux d’Alexandre, les lions dans le blason sont rouges, blancs ou noirs. Ils sont acéphales, ou portent plusieurs têtes sur un seul corps, et se présentent tantôt avec une tête de loup, tantôt avec une tête d’homme, tantôt enfin avec une tête de chien.