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peines de l’absence, soyez fort et courageux : mon cœur désolé gardera votre souvenir, je vous suivrai en esprit, et je vous aimerai jusqu’à ce que la mort vienne combler l’abîme qui nous sépare aujourd’hui. Nous nous retrouverons là-haut, auprès de Dieu, mais jamais sur la terre !

— Vous vous trompez, Lénora, s’écria Gustave avec une sorte de joie, il y a encore de l’espoir ! mon oncle n’est pas inexorable ; il cédera par pitié pour mon désespoir.

— C’est possible ; mais le sentiment de l’honneur est inflexible chez mon père, répondit la jeune fille d’une voix triste et fière à la fois ; éloignez-vous, Gustave, j’ai trop longtemps déjà oublié l’ordre de mon père et méconnu ce que je dois à mon honneur en demeurant seule avec un homme qui ne peut devenir mon époux ! Partez : si quelqu’un nous surprenait, mon malheureux père en mourrait de honte et de chagrin.

— Un seul instant encore, ma bonne et chère Lénora ! Écoutez bien ce que je vais vous dire : mon oncle m’a refusé votre main ; j’ai pleuré, prié, je me suis arraché les cheveux. Rien n’a pu le faire changer de résolution ; le désespoir m’a jeté hors de moi, je me suis révolté contre mon bienfaiteur, je l’ai menacé comme un ingrat ; j’ai dit des choses qui m’ont donné horreur de moi-même, lorsque l’accès de la fièvre a été dissipé. Je lui ai demandé pardon à genoux ; mon oncle a un bon cœur, il m’a pardonné à la condition que j’entreprendrais avec lui immédiatement un voyage en Italie depuis longtemps projeté. Il espère que je vous oublierai ! Moi, vous oublier, Lénora ! J’ai consenti à ce voyage avec une joie secrète. Ah ! je vais, pendant des mois entiers, me trouver seul à seul avec mon oncle. Mon dévouement sans bornes l’attendrira : je reviendrai, Lénora, je reviendrai triomphant pour vous offrir ma vie et ma main.

Un doux sourire éclaira le visage de la jeune fille, et dans son limpide regard se peignit le ravissement que lui faisait éprouver la peinture enchanteresse d’un bonheur encore possible ; mais le prestige s’évanouit bientôt. Elle répondit avec une morne tristesse :

— Pauvre ami, il est cruel d’arracher ce dernier espoir de votre cœur, et cependant il le faut. Votre oncle consentirait peut-être, mais mon père ?

— Votre père, Lénora ? Il pardonnera tout et me recevra dans ses bras comme un fils retrouvé…

— Non, non, ne croyez pas cela, Gustave ; on l’a blessé dans son honneur : comme chrétien il pardonnerait, comme gentilhomme il n’oubliera jamais l’outrage qu’il a reçu.

— Ah ! Lénora, vous êtes injuste envers votre père. Si je reviens avec l’assentiment de mon oncle, et si je lui dis : Je ferai le bonheur de votre enfant ; donnez-moi Lénora pour épouse ; j’embellirai sa vie par toutes les joies que l’amour d’un époux a jamais données à une femme ; son sort ici-bas sera digne d’envie. Si je lui dis cela, que croyez-vous qu’il réponde ?

Lénora baissa les yeux.

— Vous connaissez sa bonté infinie, Gustave. Mon bonheur est son unique préoccupation : il vous bénirait en remerciant Dieu.

— N’est-il pas vrai, Lénora, qu’il consentirait ? Vous voyez bien que tout n’est pas perdu. Un joyeux rayon éclaire encore notre avenir.