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il faut que toutes les passions ployent et lui obéissent. » La Rochefoucauld dit ingénieusement[1] : « L’amour, aussi bien que le feu, ne peut subsister sans un mouvement continuel. » Pascal dit grandement : « Les âmes propres à l’amour demandent une vie d’action qui éclate en événemens nouveaux. Comme le dedans est en mouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette manière de vivre est un merveilleux acheminement à la passion. C’est de là que ceux de la cour sont mieux reçus dans l’amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu, et que les autres mènent une vie dont l’uniformité n’a rien qui frappe. La vie de tempête surprend, frappe et pénètre. » La Rochefoucauld et Pascal ont cela de commun, qu’évidemment ils écrivent pour des femmes du grand monde ; mais La Rochefoucauld, qui les connaît à fond, se met fort à l’aise avec elles, et ne se gêne pas pour déchirer les voiles dont elles aimaient à s’envelopper. Pascal au contraire est tout rempli de l’esprit de Platon, et l’amour qu’il analyse et qu’il peint est l’amour à la façon de Corneille. Son analyse est subtile et fine, ses peintures chastes et passionnées. C’est le vrai genre précieux dans toute sa perfection. Et puisque l’hôtel de Rambouillet n’était plus, où mieux placer la scène d’un pareil discours que chez Mme de Sablé, devant de belles précieuses, les unes jeunes encore, les autres un peu sur le retour, mais toujours faites pour plaire : la comtesse de Maure et Mlle de Vandy ; Mme de Brégy, une des plus belles muses de la poésie galante ; Anne de Rohan, princesse de Guymenée, que Retz a trop fait connaître, et à laquelle de Thou écrivit une lettre si touchante avant de monter sur l’échafaud ; la duchesse de Schomberg, veuve depuis quelque temps, autrefois Mme de Hautefort, le digne objet d’une des passions mélancoliques de Louis XIII, toujours belle, spirituelle, d’une vertu et d’une piété qui n’ôtaient rien à ses grâces ; enfin, à côté de Mme de Sévigné, très vive au moins si elle n’était pas fort tendre, le futur auteur de la Princesse de Clèves, celle qui devait retracer un jour avec tant de charme les tourmens et les douceurs d’une passion contenue ? N’est-ce pas à des femmes de cet ordre que Pascal a dû présenter l’amour comme une adoration respectueuse, comme un sentiment qui ennoblit et agrandit l’âme, ardent à la fois et délicat, tour à tour silencieux et éloquent, heureux de la moindre faveur, et avec lequel, ce semble, il n’y aurait pas de trop grands risques à courir ?

Mais laissons les conjectures, si vraisemblables qu’elles nous paraissent, pour revenir aux faits certains dont nous voulons marquer la suite. Du moins il est indubitable que les Maximes de La Rochefoucauld sont sorties du salon de Mme de Sablé. La Rochefoucauld n’y

  1. Maxime LXXXV.