mais avec une nuance sensiblement différente, quand on s’enfonce dans les parties de l’Irlande où la race est restée pure de tout mélange avec l’étranger. Il semble que l’on entre dans les couches souterraines d’un autre âge, et l’on ressent quelque chose des impressions que Dante nous fait éprouver quand il nous conduit d’un cercle à un autre de son enfer.
On ne réfléchit pas assez à ce qu’a d’étrange ce fait d’une antique race continuant jusqu’à nos jours et presque sous nos yeux sa vie propre dans quelques îles et presqu’îles perdues de l’Occident, de plus en plus distraite, il est vrai, par les bruits du dehors, mais fidèle encore à sa langue, à ses souvenirs, à ses mœurs et à son génie. On oublie surtout que ce petit peuple, resserré maintenant aux confins du monde, au milieu des rochers et des montagnes où ses ennemis n’ont pu le forcer, est en possession d’une littérature qui a exercé au moyen âge une immense influence, changé le tour de l’imagination européenne et imposé ses motifs poétiques à presque toute la chrétienté. Il ne faudrait pourtant qu’ouvrir les monumens authentiques et maintenant presque oubliés du génie gallois pour se convaincre que cette race a eu sa manière originale de sentir et de penser, que nulle part ailleurs l’éternelle illusion ne se para de plus séduisantes couleurs, et que, dans le grand concert de la nature humaine, aucune famille n’égala celle-ci pour les sons pénétrans qui vont au cœur. Hélas ! elle est aussi condamnée à disparaître, cette émeraude des mers du couchant ! Arthur ne reviendra pas de son île enchantée, et saint Patrice avait raison de dire à Ossian : « Les héros que tu pleures sont morts ; peuvent-ils renaître ? » Il est temps de noter, avant qu’ils passent, ces tons divins, expirant à l’horizon devant le tumulte croissant de l’uniforme civilisation. Quand la critique ne servirait qu’à recueillir ces échos lointains et à rendre y une voix aux races qui ne sont plus, ne serait-ce pas assez pour l’absoudre du reproche qu’on lui adresse trop souvent et sans raison de n’être que négative ?
D’excellens ouvrages facilitent aujourd’hui la tâche de celui qui entreprend l’étude de cette curieuse phase de l’esprit humain. Le pays de Galles surtout se distingue par une activité scientifique et littéraire vraiment surprenante. Là, des travaux qui honoreraient les écoles les plus savantes de l’Europe sont l’œuvre d’amateurs dévoués. Un paysan, Owenn Jones, publia en 1801, sous le titre d’Archéologie galloise de Myvyr, ce merveilleux répertoire qui est encore aujourd’hui l’arsenal des antiquités kymriques. Une foule de travailleurs érudits et zélés, MM. Aneurin Owenn, Thomas Price de Crickhowel, William Rees, John Jones, marchant sur les traces du paysan de Myvyr, s’attachèrent à compléter son œuvre et à tirer parti des