les interpréter. Pour comprendre ces exquises beautés, il fallait un sentiment délicat de la narration galloise, une intelligence du naïf, dont un traducteur érudit se serait montré difficilement capable. Pour rendre ces gracieuses imaginations d’un peuple si éminemment doué du tact féminin, il fallait la plume d’une femme. Simple, animée, sans recherche et sans vulgarité, la traduction de lady Charlotte Guest est le miroir fidèle de l’original kymrique. Ajoutons que, sous le rapport non moins essentiel de la science et de la philologie, rien ne manque pour faire de ce travail une œuvre d’érudition et de goût infiniment distinguée[1].
Les Mabinogion se divisent en deux classes parfaitement distinctes, — les uns se rapportant exclusivement aux deux presqu’îles de Galles et de Cornouailles et rattachés au personnage héroïque d’Arthur, — les autres, étrangers à Arthur, ayant pour théâtre non-seulement les parties de l’Angleterre restées kymriques, mais la Grande-Bretagne tout entière, et nous ramenant par les personnages et les souvenirs qui y sont mentionnés aux derniers temps de l’occupation romaine. Cette seconde classe, plus ancienne que la première, au moins pour le fond du sujet, se distingue aussi par un caractère beaucoup plus mythologique, un usage plus hardi du merveilleux, une forme énigmatique, un style plein d’allitérations et de jeux de mots. De ce nombre sont les mabinogion de Pwyl, de Branwen, de Manavidan, de Math fils de Mathonwy, le Songe de l’empereur Maxime, le conte de Llud et Llewelys, et la légende de Taliésin. — Au cycle d’Arthur appartiennent les mabinogion d’Owain, de Ghéraint, de Pérédur, de Kilhwch et Olwen, et le Songe de Rhonabwy. Il faut encore remarquer que, dans cette seconde classe, les deux derniers récits ont un caractère particulier d’ancienneté. Arthur y réside en Cornouailles, et non, comme dans les autres, à Caerléon sur l’Usk. Il y paraît avec un caractère individuel, chassant et faisant lui-même la guerre, tandis que dans les contes plus modernes, il n’est plus qu’un empereur tout-puissant et impassible, un vrai héros fainéant, autour duquel se groupe une pléiade de héros actifs. Le mabinogi de Kilhwch et Olwen[2], par sa physionomie toute primitive, par le rôle qu’y joue le sanglier, conformément aux données de la mytho-
- ↑ M. de La Villemarqué a publié en 1842, sous le titre de Contes populaires des anciens Bretons, la traduction française des Mabinogion, que lady Charlotte Guest avait publiés en anglais à cette époque, et d’une partie des notes dont elle les avait accompagnés.
- ↑ On peut en lire une traduction française, faite d’après la traduction de lady Charlotte Guest, dans la Revue Britannique, juillet 1843, et une traduction allemande dans les Beiträge sur bretonischen und celtisch-germanischen Heldensage, de San-Marte (A. Schulz) ; Quedlinburg et Leipzig, 1847.