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logie celtique, par la contexture du récit entièrement surnaturelle et magique, par d’innombrables allusions dont le sens nous échappe, forme un cycle à lui seul, et nous représente la conception kymrique dans toute sa pureté, avant qu’elle eût été modifiée par l’introduction d’aucun élément étranger. Sans essayer l’analyse de ce curieux poème, je voudrais par quelques extraits en faire comprendre l’originalité.

Kilhwch, fils de Kilydd, prince de Kelyddon, ayant entendu prononcer le nom d’Olwen, fille d’Yspaddaden Penkawr, en devient éperdûment amoureux, sans l’avoir jamais vue. Il va trouver Arthur pour réclamer son aide dans cette conquête difficile : il ne sait pas en effet quel pays habite la beauté qu’il aime ; Yspaddaden d’ailleurs est un affreux tyran qui ne laisse personne sortir vivant de son château, et dont la mort est fatalement liée au mariage de sa fille[1]. Arthur donne à Kilhwch quelques-uns de ses plus braves compagnons pour le seconder dans cette entreprise. Après de prodigieuses aventures, les chevaliers arrivent au château d’Yspaddaden, et parviennent à voir la jeune fille rêvée par Kilhwch. Ils n’obtiennent qu’après trois jours de luttes persévérantes la réponse du père d’Olwen, qui met à la main de sa fille des conditions en apparence impossibles à réaliser. L’accomplissement de ces épreuves forme une vaste chaîne d’aventures, la trame d’une véritable épopée romanesque, qui nous est parvenue d’une manière fort incomplète. Des trente-huit aventures imposées à Kilhwch, le manuscrit dont s’est servie lady Charlotte Guest n’en raconte que sept ou huit. Je choisis au hasard l’un de ces récits qui me semble propre à donner une idée de la composition tout entière. Il s’agit de retrouver Mabon, fils de Modron, qui fut enlevé à sa mère trois jours après sa naissance, et dont la délivrance est un des travaux exigés de Khilwch.


« Les compagnons d’Arthur lui dirent : « Seigneur, retourne chez toi ; tu ne peux pas poursuivre avec tes hommes d’aussi chétives aventures que celle-ci. » Alors Arthur dit : « Il serait bien, Gwrhyr Gwalstawd Jeithoedd, que tu prisses part à cette recherche, car tu sais tous les langages, même celui des oiseaux et des bêtes. (Gwrhyr avait cette particularité, que de Gelli Wic en Cornouailles il voyait les moucherons se lever avec le soleil jusqu’à Pen Blathaon, au nord de la Bretagne. Chaque premier mai, jusqu’au jour du jugement, il se bat avec Gwym, fils de Nudd, pour Creiddylad, fille de Llyr[2]. Celui qui alors sera vainqueur possédera la jeune fille.) Pour vous, Kai et Bedwyr, j’ai espérance que, quelque aventure que vous entrepreniez,

  1. L’idée de poser la mort du père comme la condition ordinaire de la possession de la fille se retrouve dans plusieurs romans du cycle breton, dans Lancelot par exemple.
  2. Cordélie, fille de Lear.