Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nature. Toute leur mythologie n’est qu’un naturalisme transparent, non pas ce naturalisme anthropomorphique de la Grèce et de l’Inde, où les forces de l’univers, érigées en êtres vivans et doués de conscience, tendent de plus en plus à se détacher des phénomènes physiques et à devenir des êtres moraux, — mais l’amour de la nature pour elle-même, l’impression vive de sa magie, et ce mouvement de tristesse que l’homme éprouve quand, face à face avec elle, il croit l’entendre lui parler de son origine et de sa destinée. La légende de Merlin est le reflet de ce sentiment. Séduit par une fée des bois, il fuit avec elle et devient sauvage. Les messagers d’Arthur le trouvent chantant au bord d’une fontaine. Viviane lui a bâti sous un buisson d’aubépine une prison magique. Là il prophétise l’avenir des races celtiques ; il parle d’une jeune fille des bois tantôt visible, tantôt invisible, qui le retient captif par sa magie[1]. Plusieurs légendes d’Arthur sont empreintes du même caractère. Lui-même devint dans l’opinion populaire comme un esprit des bois : « Les forestiers, en faisant leur ronde au clair de la lune, dit Gervais de Tilbery, entendent souvent un grand bruit de cors et rencontrent des troupes de chasseurs ; quand on leur demande d’où ils viennent, ces chasseurs répondent qu’ils font partie de la suite du roi Arthur. » Les imitations françaises des romans bretons conservèrent elles-mêmes l’impression un peu affadie de ce charme invincible qu’exerce la nature sur l’imagination des races celtiques. Yblis, l’héroïne de Lancelot, l’idéal de la perfection bretonne, passe sa vie avec ses compagnes dans un jardin, au milieu des fleurs auxquelles elle rend un culte. Chaque fleur cueillie de ses mains renaît à l’instant, et les adorateurs de sa mémoire s’obligeaient, quand ils coupaient une fleur, à en semer une autre à sa place.

Le culte des forêts, des fontaines et des pierres s’explique par ce naturalisme primitif que tous les conciles tenus en Bretagne s’attachent à proscrire. La pierre en effet semble le symbole naturel des races celtiques. Immuable comme elle, c’est un témoin qui ne meurt pas. L’animal, la plante, la figure humaine surtout, n’expriment la vie divine que sous une forme déterminée, et supposent dans la race qui les prend pour symbole une réflexion déjà fort avancée. La pierre au contraire, qui ne vit pas, apte à recevoir toutes les formes, a été le fétiche de tous les peuples enfans. Le monument de l’âge patriarcal n’était qu’un tas de pierres. Pausanias vit encore debout les trente pierres carrées de Pharæ, portant chacune le nom d’une divinité. Le menhir, qui se rencontre sur toute la surface de l’ancien monde, depuis la Chine jusqu’à l’île d’Ouessant, qu’est-ce autre

  1. La Villemarqué, Contes populaires des ancien Bretons, t. Ier, p. 45.