Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en Angleterre et en Écosse que du quart, mais elle montait souvent beaucoup plus haut à cause du non-paiement de la rente. Nulle part peut-être le lot des salaires n’était plus élevé; contrairement à la rente, il aurait plutôt dû descendre que monter. Enfin ce n’est pas davantage à la portion représentative du profit qu’on pouvait s’en prendre, car cette part n’arrivait qu’au douzième du produit brut, tandis qu’en Écosse elle monte jusqu’au quart, et en bonne économie rurale elle aurait été loin de suffire.

Le véritable vice de la rente, c’était la manière dont elle se dépensait. Au lieu de servir sur les lieux mêmes à la formation du capital, elle allait se perdre en Angleterre ou sur le continent sans profit pour l’Irlande. Cette fuite constante de la rente se manifestait par un courant continu d’exportation des denrées agricoles; la moitié environ du froment récolté, un quart de l’avoine, la meilleure partie des produits animaux, en tout un tiers environ du produit rural passait tous les ans d’Irlande en Angleterre, et servait à payer soit la rente, soit l’intérêt de la dette hypothécaire, qui ne faisait qu’un avec elle et qui appartenait en général à des capitalistes anglais. L’exportation enrichit un pays quand il reçoit quelque chose en échange : c’est ce qui arrive en Écosse; mais quand on exporte toujours sans rien recevoir, comme en Irlande, l’exportation est une ruine. Cette île produisant tout juste le nécessaire pour la nourriture de ses habitans, ce qui en sortait laissait un vide que rien ne venait remplir. Une partie de l’impôt suivait la même voie. A coup sûr, l’impôt direct n’était pas en lui-même plus lourd que la rente, puisqu’il ne s’élevait qu’à 5 francs par hectare, tandis qu’en Angleterre il était de 25; mais en Angleterre il se dépensait sans se déplacer, tandis qu’en Irlande, la plus grande partie, servant à payer le clergé anglican, qui ne résidait pas plus que les propriétaires, constituait, comme la rente, une véritable perte annuelle. Ce qui en restait était loin de pourvoir aux dépenses les plus indispensables, et remplissait bien faiblement le rôle que doit remplir l’impôt dans tout pays bien ordonné, de grossir le capital national en routes, ponts, canaux, ports, édifices communs, et de maintenir la paix publique. Le profit du middleman n’avait pas tout à fait les mêmes inconvéniens, puisqu’il restait en Irlande, mais il n’en revenait guère plus à la culture.

Voilà certes de puissantes causes d’appauvrissement ; elles n’auraient cependant pas suffi pour expliquer l’état de misère où était tombée la plus grande partie de l’Irlande sans la multiplication insensée de la population rurale; là était le principe essentiel et comme la racine du mal. A la rigueur, même avec l’exportation régulière de la rente et d’une partie de l’impôt, même avec le défaut de capital tant public que privé, la population rurale aurait pu vivre, si elle