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assassinats donnaient lieu à des poursuites, il ne se trouvait ni un témoin pour charger les accusés ni un jury pour les déclarer coupables. Les tenanciers dépossédés, n’ayant plus aucun moyen d’existence, devenaient des vagabonds et des pillards nocturnes; leurs enfans et leurs femmes demandaient l’aumône, et comme la taxe des pauvres n’existait pas, remède funeste sans doute, mais quelquefois nécessaire, il n’y avait pas de bornes à cette progression de la misère et du crime. Les districts les plus fertiles souffraient profondément de ces plaies; mais le mal arrivait à ses dernières limites dans les plus mauvaises parties de l’ile, c’est-à-dire dans l’ouest.

La population du Connaught atteignait presque une tête humaine par hectare, c’est-à-dire l’équivalent de nos riches départemens normands, et la nature du sol n’offrait que des ressources très insuffisantes pour nourrir une pareille population, la moitié des terres, ou 800,000 hectares sur 1,600,000, étant incultes. Dans les comtés voisins de Donegal et de Kerry, c’était pire encore : les terres cultivées ne formaient que le tiers de la superficie, le reste en montagnes, lacs ou marais. Supposez la population de la Manche, de la Somme ou du Calvados transportée dans les Hautes ou les Basses-Alpes, et demandez-vous quelle en sera la conséquence! Ces divers comtés n’ayant ni industries actives ni villes populeuses, la population tout entière vivait de l’agriculture, si l’on peut donner ce nom à l’épuisement aveugle et famélique des facultés productives du sol. Peut-on s’étonner que même une faible rente de 15 fr. Par hectare y devînt d’un recouvrement impossible, et que la famine avec toutes ses horreurs y fût en quelque sorte en permanence ?

Parmi les expédions imaginés pour tirer de la terre le plus grand parti possible sans capital, il en était deux qui présentaient en apparence au landlord de très grands avantages, et qui en définitive n’étaient pas moins désastreux pour lui que pour le cultivateur. Je veux parler de la partnership tenure et du conacre.

Voici ce que c’était que la tenure en commun, dite partnership, qu’on appelait aussi rundale ou runrig, mot qui paraît d’origine scandinave. On louait une étendue plus ou moins considérable de terre, soit par exemple 50, 100, 200 hectares, à un village dont tous les habitans étaient solidaires. Ceux-ci jouissaient en commun de ce qu’ils ne pouvaient pas cultiver, et se partageaient annuellement le reste par famille; chaque famille partageait ensuite son lot par tête, si elle le jugeait à propos. Après la récolte, tout rentrait en commun, et le partage se faisait à nouveau pour l’année suivante. Nous avons en France, dans les régions les plus arriérées, bon nombre de villages organisés à peu près de cette façon, avec cette différence que la communauté est propriétaire, au lieu d’être fermière. Malgré cet