sa puissante sœur, l’Irlande avait été jetée par la Providence sur un point plus éloigné de l’Océan, elle n’eût eu sa vie originale et brillante. Nul doute encore que si, au lieu d’être de beaucoup la plus petite des deux îles voisines, elle eût été la plus grande, elle n’eût pu finir par absorber l’autre et par donner son cachet à la civilisation britannique. Ni le caractère national, ni la foi catholique, n’auraient été des obstacles essentiels à cette destinée si différente. Tout son malheur lui vient de ce qu’étant très rapprochée, elle est la plus faible, et en même temps de ce qu’elle n’était ni assez proche ni assez faible pour se laisser absorber sans résister, la pire des conditions pour un peuple. L’Écosse a lutté aussi contre son assimilation avec l’Angleterre ; mais outre qu’il y avait entre les deux peuples des affinités de race et de croyance qui n’existaient pas entre l’Anglais et l’Irlandais, le voisinage était si immédiat et la disproportion si grande, qu’elle a dû céder à temps. L’Irlande est restée vaincue et réfractaire. Par une conséquence nécessaire de sa forte nature, le peuple anglais est incompatible avec tout ce qui n’est pas lui. Son génie est exclusif. Il ne comprend pas qu’on puisse vivre, penser et agir autrement que lui-même ; il a surtout une haine violente contre le papisme, qu’il regarde comme inconciliable avec la liberté. L’Irlande n’était pas seulement à ses yeux une voisine redoutable et un ennemi naturel, c’était une nationalité odieuse, antipathique à toutes ses idées. Ne pouvant pas la réduire, il a voulu l’écraser.
La grande excuse de l’Angleterre, la voilà. Sans doute il eût cent fois mieux valu, non-seulement pour l’Irlande, mais pour l’Angleterre elle-même, qu’elle eût suivi dès l’origine envers l’île-sœur, comme elle l’appelle quelquefois, une politique plus humaine ; mais après tout, la nation anglaise n’a fait, en essayant de s’incorporer par la force cette terre voisine, que ce qu’ont fait tous les autres peuples. Si les Anglais avaient eu pour les Irlandais des sentimens vraiment fraternels, c’eût été un bel exemple assurément, mais un exemple unique, dans des temps où les nations n’aspiraient qu’à se détruire mutuellement. N’avons-nous pas vu, chez nous comme partout, catholiques et protestans se massacrer sans miséricorde ? N’a-t-on pas vu, dans tout le cours de l’histoire, porter le fer et le feu dans des provinces, des royaumes entiers, pour y détruire le moindre germe d’une nationalité distincte, et fondre ces débris dans de vastes empires ? Toutes les grandes unités nationales se sont-elles formées autrement ? Le perpétuel malentendu qui fait les démêlés d’homme à homme, de classe à classe et de peuple à peuple, ne subsiste-t-il pas encore, et ne suffit-il pas d’être né sur les deux rives d’un fleuve pour s’entre-déchirer ? À ce point de vue, ce qu’on peut reprocher à l’Angleterre, c’est de n’avoir pas assez fait. Élisabeth, Cromwell, Pitt, tous les instrumens de cette terrible lutte, n’ont ni assez égorgé,