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parties intéressées, mais fixé par acte du parlement sur une évaluation officielle, ce n’était encore qu’une forme d’expropriation. M. de Raumer et M. de Sismondi ont préconisé tous deux ce moyen violent, qui a trouvé des partisans considérables même en Angleterre. Encore un coup, la propriété irlandaise en général ne méritait que peu d’intérêt, soit à cause de son origine, soit à cause de l’usage qu’on en avait fait; mais, en fin de compte, c’était la propriété, c’est-à-dire le plus solide fondement de la société humaine : le nom au moins avait droit au respect, et il y avait dans tous les cas des exceptions nombreuses qu’il n’était pas juste d’envelopper dans la réprobation. Rien ne prouvait d’ailleurs que le remède fût efficace. On consacrait par là l’absenteism, un des plus grands maux de l’Irlande, on séparait plus profondément que jamais la rente de l’exploitation. En supposant que la mesure eût pour le moment de bons effets, on créait pour l’avenir une situation compliquée, pleine d’embarras et de difficultés. Les baux à rente perpétuelle ont été fort en usage en France sous l’ancien régime ; ils avaient amené de telles complications d’intérêts, qu’on a jugé nécessaire de les supprimer, ou du moins de les rendre essentiellement rachetables. La faculté de rachat n’eût été en Irlande qu’un palliatif insuffisant : outre qu’à la façon dont elle s’exerce dans les pays en révolution, elle n’eût fait que compléter l’expropriation dans la plupart des cas, elle peut suffire quand le bail à rente perpétuelle n’est qu’une exception; mais quand c’est l’état universel des propriétés, elle ne peut avoir qu’un effet insensible, et les propriétés non-libérées restent longtemps la règle.

L’éternel exemple de l’Ulster, qu’on invoquait en faveur de la fixité de tenure comme du tenant-right, ne prouvait pas plus dans un cas que dans l’autre. Il est vrai que sur quelques points de cette province, toujours pour appeler des colons, on avait eu recours, il y a plusieurs siècles, à des baux perpétuels ; mais les points où ce système avait prévalu n’étaient pas les plus prospères. On n’avait cependant réservé pour le propriétaire nominal qu’une rente insignifiante, ou plutôt une simple redevance féodale. Le véritable propriétaire était le tenancier, et chose remarquable en ce qu’elle montre bien le véritable point de la difficulté, ces terres, tenues à bail perpétuel, avaient été divisées et subdivisées au moins autant que les autres, si bien qu’avec une rente à peu près nulle la plupart des cultivateurs n’avaient plus de quoi vivre; des districts entiers n’offraient que des fermes d’un ou deux hectares, rarement on en trouvait au-delà de 5 ou 6. Une dépossession pure et simple des propriétaires, comme la rêvaient plus ou moins haut les Irlandais, n’aurait remédié qu’imparfaitement au mal. Les propriétés auraient été, comme les fermes, en se partageant, et dès la première génération, on serait retombé dans le même embarras. Si la grande propriété doit avoir des