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ou, comme on disait naïvement, la bonne volonté du fermier sortant, good will. Il est difficile de méconnaître ici un véritable droit de copropriété. Quand ce droit existe de temps immémorial, comme en Ulster, où il paraît avoir pris naissance lors de la grande tentative de colonisation protestante de Jacques Ier, et dans la pensée d’attirer des colons étrangers par la perspective d’avantages spéciaux, il n’y a rien à opposer à sa légalité; mais là où il n’était pas dès longtemps établi, on ne pouvait évidemment l’introduire sans changer les conditions de la propriété. Nous avons eu aussi en France des tentatives pour fonder quelque chose de pareil : tel est ce qu’on appelle dans certains cantons du département du Nord le mauvais gré, c’est-à-dire une véritable coalition entre les cultivateurs pour forcer les propriétaires à louer leurs terres à bas prix ou à donner au préalable une large indemnité au fermier sortant, qu’il ait ou non amélioré le sol ; mais cet abus, contraire à toute espèce de progrès agricole et qui en outre démoralise profondément les populations rurales, n’a jamais pris chez nous beaucoup d’extension.

Quels que fussent les torts de la propriété irlandaise, Il est tout simple que le gouvernement anglais n’ait pas voulu la condamner à une pareille servitude. Il ne s’agissait pas seulement de réparer les fautes du passé, il fallait encore fonder l’avenir. Or quel aurait été l’avenir de la propriété, et par suite de la culture, qui lui tient par un lien si étroit, si on lui avait d’avance attaché cette lèpre ? On a beau dire que dans l’Ulster le tenant-right a réussi : ce prétendu succès ne prouve rien. Ainsi que l’a très bien expliqué M, Campbell-Foster dans ses Lettres sur la condition du peuple Irlandais, publiées en 1846, cette province contient à la fois le comté de Down, où règne en effet une assez grande prospérité relative, et celui de Donegal, où la misère irlandaise était arrivée à son dernier terme; or le tenant-right était usité dans tous deux. Que dis-je ? le tenant-right du Down n’était pas du tout le même que celui du Donegal : le premier était conforme à la coutume anglaise, dont l’utilité peut être contestée, mais qui se légitime à beaucoup d’égards; le second seul était bien le tenant-right irlandais, celui qui n’a rien de commun avec les unexhausted improvements. Celui-là coïncidait partout avec la ruine commune, soit du propriétaire, soit du tenancier, il ne s’élevait pas moins qu’à l’équivalent de la valeur même du sol, de sorte que le malheureux qui prenait une ferme était obligé d’en payer la valeur vénale, ou, en d’autres termes, d’acheter la propriété pour être admis à en payer la rente; il n’y a que le travail insensible du temps qui puisse expliquer l’établissement d’une anomalie aussi funeste.

A son tour, la fixité de tenure n’était autre chose qu’une vente sous condition de rente perpétuelle, et comme dans ce système le taux de la rente ne devait pas être abandonné au libre arbitre des