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LA GUERRE CIVILE


EN CHINE





La révolution fait décidément le tour du monde. La voilà en Chine! Cet immense empire, qui de loin nous semblait si calme et comme endormi à l’ombre de ses institutions séculaires, est en ce moment livré aux horreurs de la guerre civile. Une insurrection formidable, partie d’un district obscur du Kwang-si, s’est étendue aux plus riches provinces; elle a planté son drapeau jusque sur la vieille tour de Nankin, et elle menace sérieusement la dynastie tartare. Il y a vingt ans, l’Europe n’y aurait point pris garde; à peine savait-elle le nom de l’empereur qui régnait à Pékin, et elle se souciait fort peu de la dynastie des Ming ou de celle des Tsing. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Depuis 1842, la Chine a cessé d’être pour l’Europe un simple sujet de curiosité, une chinoiserie; c’est un marché de trois cents millions de consommateurs qui déjà pèse de tout son poids dans la balance commerciale du monde; c’est un vaste champ ouvert à l’ambition politique, à l’exploitation industrielle, à la propagande religieuse de l’Occident; c’est en quelque sorte un nouveau peuple que la guerre et la vapeur ont fait entrer, malgré lui, dans le concert des intérêts européens.

Il est d’ordinaire bien difficile de connaître exactement ce qui se passe dans la mystérieuse patrie de Confucius. Les Européens, campés seulement sur le littoral, ne reçoivent de l’intérieur que de lointains et faibles échos. Les nouvelles ont à franchir de telles distances, qu’elles s’arrêtent souvent en route, et, quand elles arrivent, il faut presque les deviner à travers les déguisemens étranges que leur ont fait subir les préjugés du peuple et les mensonges des mandarins. Voilà plus de trois ans que l’insurrection a éclaté dans le Kwang-si, et cependant nous ignorions encore, il y a peu de mois, ses progrès rapides, son caractère, les intentions de ses chefs. Nos informations se bornaient à de vagues rumeurs recueillies par les négocians de Canton et de Shanghai. La vérité ne nous est apparue que le jour où les mandarins, serrés de trop près par les rebelles, ont appelé les étrangers à leur aide; puis sont venues les