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Marshall, ministre des États-Unis. On attendait en outre l’arrivée de la frégate française la Capricieuse, qui devait amener notre ministre plénipotentiaire, M. Bourboulon. Le plénipotentiaire anglais, sir George Bonham, venait d’arriver, le 21 mars, sur le steamer l’Hermès. Si les cinq bâtimens de guerre alors disponibles avaient remonté le Yang-tse-Kiang et paru devant Nankin, ils auraient pu très aisément décider la victoire au profit de la cause impériale; mais les représentans des nations européennes étaient d’accord sur la convenance d’observer, au milieu de cet étrange débat, une complète neutralité. Ils répondirent dans ce sens à la communication du gouverneur, et les documens placés sous les yeux de la chambre des communes attestent que, dès l’origine, le cabinet britannique approuva pleinement la détermination adoptée par sir George Bonham, « de n’intervenir d’aucune manière en faveur du gouvernement chinois. »

Cependant la prise de Nankin produisit à Shanghai une vive émotion. Le gouverneur s’adressa une seconde fois aux consuls et dans les termes les plus pressans, afin d’obtenir l’assistance des Européens. Voici la réponse qui lui fut transmise par le consul anglais, M. Alcock, au nom de sir George Bonham : « Le plénipotentiaire britannique ne saurait promettre son concours pour la défense de Shanghai, dans le cas où cette ville serait assiégée par les insurgés; il protégera la colonie anglaise contre toute attaque qui serait dirigée contre elle. Quant à la répression des actes de pillage qui pourraient être commis dans l’enceinte de la ville chinoise, le plénipotentiaire, tout en éprouvant le désir bien naturel de venir en aide aux autorités dans l’intérêt des citoyens paisibles, se réserve le droit de régler ultérieurement sa conduite d’après les circonstances[1]. » Cette politique de neutralité, proclamée fermement au plus fort de la lutte, offrait pour l’avenir des avantages incontestables; mais, pour le présent, elle n’était point sans péril. En effet, les Européens établis à Shanghai occupent en dehors de l’enceinte chinoise un quartier qui leur a été concédé par les mandarins : leur nombre dépasse à peine trois cents. Que pouvait faire cette poignée d’hommes, si elle venait à être soudainement attaquée par les rebelles ? Il ne fallait point compter sur l’assistance efficace des impériaux, et la présence même des navires de guerre ne mettait point la petite colonie à l’abri d’un coup de main. La conjoncture était d’autant plus grave que l’on ne connaissait point exactement les dispositions des insurgés à l’égard des étrangers. Le gouverneur de Shanghai se gardait bien de rassurer les consuls; il affirmait que les rebelles étaient animés d’une violente haine contre les Européens, et il faisait circuler de prétendues proclamations par lesquelles les généraux de Taï-ping promettaient solennellement à la nation chinoise que les humiliations de la guerre de 1840 allaient être vengées dans le sang des barbares. La petite colonie ne perdit point courage : les 8 et 9 avril, les résidens se réunirent en meetings sous la présidence de M. Alcock, et ils votèrent la formation d’un corps de volontaires, ainsi que la création d’un comité de salut public charge de prendre toutes les mesures nécessaires pour la défense commune. Dans un troisième meeting, qui fut tenu le

  1. Papers respecting the civil war in China. Documens communiqués par le gouvernement anglais à la chambre des communes, 1853.