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Bonham, le prince du Nord me désigna l’un de ses officiers comme devant le lendemain conduire les chefs anglais qui désiraient obtenir une conférence. Je lui fis observer que ce mode de procéder serait bon pour moi et pour d’autres, mais que sir George Bonham était un officier de haut rang au service de sa majesté britannique, et qu’il ne pouvait se rendre à aucune réunion avant que l’on eût réglé le cérémonial et le lieu de l’entrevue, ainsi que la qualité des personnages qui devaient le recevoir. « Quelque élevé que soit son rang, me fut-il répondu, votre chef n’est point au niveau des personnages devant lesquels vous vous trouvez en ce moment. » Je dis que je rendrais compte de cet incident à son excellence, mais que je ne pouvais répondre de sa venue. Je demandai quelques renseignemens au sujet de Taï-ping-wang, le prince de la Paix. Le prince du Nord m’expliqua par écrit que Taï-ping était le « vrai maître » ou souverain, que le maître de la Chine est le maître du monde entier, qu’il est le second fils de Dieu, et que tous les peuples doivent lui obéir et le suivre. Comme je ne faisais aucune réflexion, me bornant à le regarder en face après avoir lu cette singulière réponse, il insista : « Le vrai maître n’est pas seulement le maître de la Chine; il n’est pas seulement notre souverain, il est aussi le vôtre. » Je continuai de le regarder fixement sans mot dire; il se décida alors à parler d’autre chose...»

Le lendemain, 28 avril, deux officiers chinois arrivèrent à bord de l’Hermès, porteurs d’un message très court enjoignant aux Anglais de décliner leur qualité et l’objet de leur visite, s’ils voulaient être admis à comparaître devant le « souverain de toutes les nations. » Ce message, sans signature et sans cachet, fut renvoyé par le plénipotentiaire qui dut en relever très vivement la forme impertinente. Enfin, le 29 avril, un chef nommé Lae vint présenter les excuses du prince, en alléguant que le message de la veille avait été rédigé par une personne ignorante des formules à employer à l’égard des « frères étrangers. » A la suite de cette apologie, qui fut jugée satisfaisante, il annonça à M. Meadows que le lendemain des palanquins et des chevaux seraient mis à la disposition de sir George Bonham, pour le conduire à la résidence des princes du Nord et de l’Est[1].

Jusqu’alors tous les pourparlers avec les rebelles avaient eu lieu par l’entremise de M. Meadows et de M. Frederick Harvey, secrétaire du plénipotentiaire britannique. Sir George s’était tenu en quelque sorte derrière ce rideau; il ne se montrait pas plus que l’invisible Taï-ping, et il se souciait peu de compromettre sa dignité avec ces princes des quatre points cardinaux, dont l’origine et le caractère semblaient assez suspects. Toute réflexion faite, il se décida à ne point se rendre à l’entrevue qu’il avait le premier sollicitée; il s’excusa « sur le mauvais temps et sur d’autres causes, » et se l)orna à adresser aux chefs des insurgés une longue lettre dans laquelle, après avoir rappelé les termes du traité de Nankin, l’ouverture des cinq ports, la cession de Hong-kong, etc., il confirma les précédentes déclarations de M. Meadows sur la neutralité des Anglais. Cette dépêche se terminait ainsi : « Notre intention est de demeurer complétement neutres dans le

  1. Taï-ping a pour lieutenans quatre princes qui s’intitulent : prince du Nord, — du Sud, — de l’Est, — de l’Ouest, — et un prince adjoint.