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le haut du ciel, notre Père céleste et notre "Frère aîné contemplent avec admiration cette preuve de votre piété et de votre foi. Nous publions donc ce décret pour vous permettre, à vous chef anglais, de conduire vos frères partout où vous voudrez, soit pour exterminer de concert avec nous les infidèles, soit pour vous livrer à vos opérations de commerce, et nous espérons vivement que vous servirez notre royal maître, pour honorer, comme nous, la bonté du Père des Esprits.

« Que ce décret de Taï-ping soit porté à la connaissance des Anglais, et que tous les hommes apprennent à adorer notre Père céleste et notre Frère aîné; que tous sachent que là où se trouve notre royal maître, la foule des peuples accourt le féliciter d’avoir reçu mission pour régner.

« 26e jour du 3e mois de l’année kweihaou (1er mai 1853). »

Cet étrange décret n’était que la reproduction du langage tenu par le prince du Nord à M. Meadows lors de la première entrevue. Sir George Bonham ne fit pas grande attention au galimatias théologique des rebelles; mais il ne pouvait laisser passer les étranges prétentions de souveraineté universelle attribuée si libéralement à sa majesté Taï-ping, frère cadet de Jésus. Voici en quels termes il répondit aux chefs des insurgés :

« J’ai reçu votre communication. Il y en a une partie que je ne puis comprendre, c’est celle qui semble impliquer que les Anglais sont soumis à votre empereur. Je me vois donc obligé de vous rappeler qu’en vertu d’un traité conclu avec le gouvernement chinois, mon pays a obtenu le droit de trafiquer dans les cinq ports de Canton, Foochow, Amoy, Ning-po et Shanghai, — et que si vous ou tous autres vous prétendiez porter atteinte, en quoi que ce soit, aux personnes ou aux biens des sujets anglais, il serait pris immédiatement des mesures de représailles, ainsi que cela a eu lieu il y a dix ans, alors que Chin-kiang-fou, Nankin et les cités voisines ont été occupées par les Anglais, et que le traité, dont je vous ai envoyé copie avant-hier, a été signé. »

La réplique était simple et nette. Après avoir fait tomber sur la couronne de Taï-ping cette douche d’eau froide, sir George Bonham s’éloigna de Nankin. En repassant à Chin-kiang-fou, l’Hermès fut de nouveau canonné par les forts; mais cette fois le steamer riposta. Quand on en vint aux explications, il fut reconnu que l’attaque était le résultat d’une méprise, et les chefs s’engagèrent à transmettre partout des ordres pour que l’on respectât le pavillon anglais. Le 6 mai, l’Hermès était de retour à Shanghai, d’où sir George Bonham partit presque immédiatement pour Hong-kong.

Les résidens anglais se montrèrent peu satisfaits de ce départ; malgré les assurances qui leur furent données par le plénipotentiaire au sujet des intentions pacifiques et même bienveillantes des rebelles, ils voyaient avec inquiétude s’éloigner l’Hermès dans une conjoncture aussi critique, il ne restait plus dans le port qu’un seul navire de guerre anglais, la Salamandre. Le comité de salut public, après avoir vainement insisté auprès de sir George Bonham sur la gravité de la situation, pria le ministre américain de retenir à Shanghai le Plymouth, qui devait joindre l’expédition dirigée contre le Japon sous les ordres du commodore Perry. Le colonel Marshall répondit qu’il ne lui appartenait pas de changer la destination d’un navire de guerre