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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.


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31 janvier 1854.

On ne saurait en vérité trop scrupuleusement sonder la situation de l’Europe à mesure qu’elle se déroule et prend un caractère plus tranché. À travers la confusion de récits et de nouvelles qui se contredisent parfois et qui parfois se complètent, ce qu’on peut distinguer clairement, c’est que cette situation est arrivée à un degré où entre la paix et la guerre, — la première guerre sérieuse allumée depuis quarante ans dans l’Occident, — il n’y a plus que l’épaisseur d’un dernier mot, d’une dernière résolution. Après avoir désiré la paix de toute la puissance d’un sentiment hautement conservateur, après avoir épuisé tous les moyens pour la sauvegarder, intéressée d’ailleurs à la maintenir, l’Europe se trouve en ce moment conduite à une sorte d’attente inquiète, à un état d’expectative armée qui n’exclut pas sans doute toute espérance ultérieure, mais qui par malheur peut passer d’une heure à l’autre à une action plus décidée. Les communications diplomatiques suivent leur cours, les courriers se succèdent, les relations officielles ont subsisté jusqu’ici. À quoi tient cette dernière apparence de paix, cet ensemble de rapports réguliers ? Tout cela tient à un fil à demi rompu déjà. C’est depuis quelques jours surtout, on peut le dire, que les événemens se précipitent. Il y a peu de temps encore, sans prêter une foi absolue à l’efficacité immédiate des propositions nouvelles émanées de la conférence de Vienne, on pouvait se demander si elles n’auraient point pour effet de rouvrir une ère de négociations pacifiques. Le lendemain, les flottes combinées de l’Angleterre et de la France entrant dans la Mer-Noire, on se demandait de quel poids allait être cet acte décisif devenu nécessaire ; aujourd’hui on se demande si une interruption de rapports diplomatiques entre la Russie d’une part, l’Angleterre et la France de l’autre, ne va point se manifester par le rappel des ambassadeurs. Comme on voit, la question va en se simplifiant. Ainsi aura marché cette terrible affaire, conduite par une sorte de fatalité invisible qui