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singulières, le sagace historien induit qu’une sorte d’oligarchie vénitienne, nous dirions, nous, de patriciat bourgeois, devait sortir de l’œuvre de Sieyès bien plutôt qu’une autocratie militaire.

Quoiqu’il en soit, le pays était fier de l’œuvre qu’un grand homme opérait dans son sein en s’inspirant de la pensée de tous. Tout entier à la joie de renaître sous un gouvernement réparateur qui ne menaçait que l’anarchie, qui s’entourait de tous les hommes éminens, rouvrait les portes de la France aux victimes de toutes les tyrannies, et s’appuyait sur toutes les forces morales, depuis l’histoire proscrite jusqu’à la probité oubliée, il entendait sans étonnement l’organe du gouvernement consulaire dire en présentant la constitution de l’an VIII à la sanction nationale : « La constitution est fondée sur les vrais principes du gouvernement représentatif, sur les droits sacrés de la propriété, de l’égalité et de la liberté. La révolution française est fixée aux principes qui l’ont commencée, elle est finie. »

Le 18 brumaire ne fut point l’œuvre d’un peuple abjurant ses idées pour échapper à des périls que sa mollesse lui interdit d’envisager de sang-froid. Ce fut moins un acte de découragement et de scepticisme qu’un acte de foi et de renaissante confiance. Si la nation se livra à un homme, c’est que cet homme, qui distançait de si loin tous les personnages de son temps, avait alors sur eux tous l’avantage de n’être l’instrument d’aucun parti, de n’avoir à venger aucune injure, à payer aucun dévouement. Si la France abdiqua plus complètement chaque jour, c’est que les plus nobles instincts du pays étaient satisfaits aussitôt que devinés, et que le pouvoir devançait toutes les volontés de la France sans en concevoir une seule qu’elle n’eût été heureuse et fière d’avoir elle-même exprimée. Les révolutions faites aux jours de scepticisme et de lassitude sont stériles comme les tristes sentimens qui les inspirent ; mais les révolutions sorties du cours naturel des choses et des idées s’imposent instantanément par l’éclat et la rapidité de leurs œuvres. Devant leur fécondité, leurs ennemis eux-mêmes sont contraints de les proclamer légitimes.


II

Tel fut sans nul doute le caractère de la révolution politique par laquelle s’ouvrit la première partie de la carrière de Napoléon. En une année, le consulat avait élevé plus de monumens que l’ancien régime dans sa longue décadence et la révolution dans ses fureurs n’avaient accumulé de ruines. Ce gouvernement avait surexcité toutes les forces vives de la France, il avait ouvert devant la pensée publique des perspectives aussi vastes que pures, et dépassé toutes les espérances de son avènement.