Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/658

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La promulgation des institutions nom elles coïncida avec les plus généreuses réparations. En l’an VII, le directoire avait donné la loi des otages pour pendant à la loi des suspects. Ce gouvernement aux abois avait placé les meilleurs citoyens sous le coup des plus formidables mesures exceptionnelles, et peut-être avait-on moins pardonné une telle violence à la faiblesse qu’à la tyrannie. Le rapport de la trop fameuse loi du 24 messidor fut la première proposition des consuls provisoires aux commissions législatives. Les prisons se rouvrirent d’un bout de la France à l’autre, comme après la journée de thermidor ; les séquestres apposés sur les biens d’innombrables familles furent levés, et la première fois qu’il est donné à l’histoire de discerner l’action personnelle du premier consul dans l’exercice de sa magistrature civile, elle le trouve à la prison du Temple, biffant le registre des écrous de ses mains victorieuses. Par un étrange caprice du sort, le premier acte politique de Napoléon fut un hommage éclatant à la liberté[1]. Bientôt après, une loi était rendue pour rouvrir les portes de la patrie à tous les citoyens déportés à la suite de ces nombreux coups d’état devenus depuis le 31 mai le droit commun de la France révolutionnaire, et la Guyane put rendre enfin les victimes que n’avait pas dévorées son soleil homicide.

En même temps le droit international recevait un double hommage, destiné à révéler à l’Europe le caractère du pouvoir qui s’élevait avec tant d’éclat sur cet horizon si longtemps obscurci. Les naufragés de Calais, pour lesquels la patrie avait été plus impitoyable que la tempête, étaient rendus à la liberté, et le bénéfice de la capitulation signée avec le grand-maître de l’ordre de Malte était appliqué aux chevaliers d’origine française, qui échappaient ainsi aux dispositions des lois révolutionnaires sur l’émigration. Enfin la liste des émigrés était déclarée close, et de nombreuses radiations préparaient le jour d’une plus complète justice.

Loin d’être comprimée par les institutions nouvelles, la puissance de l’opinion s’exerçait au début du consulat avec un entraînement irrésistible. Pour la première fois peut-être, depuis nos cruelles dissensions, ce mouvement s’opérait dans un sens de stricte légalité en dehors de toutes les considérations de parti, à ce point que la l’action la plus menacée par le pouvoir, la plus justement odieuse au pays, se trouva garantie contre toutes les violences et toutes les atteintes au droit commun par cette généreuse disposition de l’esprit public.

  1. « Des courriers furent expédiés dans les départemens pour faire ouvrir toutes les prisons. Bonaparte les visita lui-même à Paris. Au Temple, il se fit présenter les écrous et mit sur-le-champ en liberté les otages en leur disant : Une loi injuste vous a privés de la liberté, et mon premier devoir est de vous la rendre. » (Thibaudeau, Histoire de la France et de Napoléon Bonaparte de 1799 à 1815.)