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et en réconciliant la France avec l’église, Napoléon vient lui enseigner à quelles conditions l’autorité se prend, et moyennant quelles conditions elle se conserve. Ce fut là un acte, non de croyant, mais de grand politique. Si plus tard, dans l’absence de toutes les illusions humaines, la foi retrouva quelque accès dans cette âme désabusée d’elle-même, rien n’indique qu’alors Napoléon ait aspiré à autre chose qu’à poser le faîte de l’édifice social si heureusement relevé par lui ; mais pour accomplir cette dernière partie de sa tâche, il eut à déployer plus de courage qu’aux plus périlleuses occasions où l’ait jamais jeté sa fortune. Que les uns se représentent le conquérant défiant la foudre sur un pont croulant, ou gravissant à travers les neiges la cime d’un mont inaccessible ; que les autres le contemplent illuminant d’un éclair de ses yeux des milliers d’hommes, et les précipitant d’un mot vers la victoire et vers la mort ; qu’on l’observe dans les pompes de Tilsitt ou de Dresde, entouré d’un collège de rois vassaux, jamais l’histoire ne le rencontrera plus grand que dans cette enceinte dénudée de Notre-Dame, présidant à la réconciliation de la France avec le ciel et sachant imposer le silence et le respect à tous par la foudroyante puissance de sa volonté.

Mais il n’était pas moins difficile de réconcilier la révolution française avec l’Europe que de la faire rentrer dans les voies de la civilisation chrétienne. Le général Bonaparte entendait faire du rétablissement de la paix générale le programme même de son gouvernement. Aussi son premier soin avait-il été d’écrire publiquement aux chefs des principaux gouvernemens coalisés, pour demander l’ouverture immédiate d’une négociation. Personne n’ignore que la lettre à George III contenait ces belles paroles, destinées à devenir comme une éclatante condamnation portée par le consul contre l’empereur : « Comment les deux nations les plus éclairées de l’Europe, puissantes et fortes plus que ne l’exigent leur sûreté et leur indépendance, peuvent-elles sacrifier à des idées de vaine grandeur le bien du commerce, la prospérité intérieure et le bonheur des familles ? Comment ne sentent-elles pas que la paix est le premier des besoins comme la première des gloires ? »

En tentant cette démarche, éclatante autant qu’inusitée, le général Bonaparte n’ignorait pas qu’elle échouerait probablement contre les antipathies et les illusions de l’Europe, car celle-ci n’avait pas mesuré la portée de la révolution du 18 brumaire, et ses hommes d’état persistaient à voir dans le premier consul une sorte de Robespierre à cheval ; mais il voulait s’emparer solennellement, aux yeux de la nation, de ce rôle populaire de pacificateur, destiné à transformer le guerrier en magistrat.

Il n’était pas plus facile, en 1801, de faire passer le monde de