Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est que lorsque Moreau menacera Vienne, qu’un plénipotentiaire obstiné, bien digne de représenter la cour la plus persévérante de l’Europe, signera, après une lutte inouïe dans les annales diplomatiques, ce grand traité de Lunéville, qui marque le sommet de la carrière de Napoléon dans la phase régulière de sa vie.


III

Mais cet acte doit être apprécié bien moins d’après ses dispositions écrites que d’après ses conséquences inévitables, et les stipulations qu’il consacre ne sont pas aussi importantes que les omissions qu’on y peut malheureusement signaler.

L’empereur agissant comme chef de l’empire germanique prenait sur lui, conformément à quelques précédens historiques d’une valeur fort contestable, de reconnaître à la France, outre la possession de la Belgique, déjà garantie depuis 1797, celle de la rive gauche du Rhin, depuis le point où ce fleuve sort du territoire suisse jusqu’à celui où il entre en Hollande. Les princes héréditaires dépossédés par cette vaste extension de nos frontières devaient être indemnisés de leurs pertes aux dépens des principautés ecclésiastiques sécularisées. C’était là un principe d’une iniquité manifeste sans doute, puisqu’il frappait des tiers pour une querelle à laquelle ils étaient demeurés étrangers ; mais la responsabilité en portait bien moins sur la France, qui, en s’emparant des provinces rhénanes, usait du droit incontestable de la guerre et de la conquête, que sur les grandes cours allemandes, qui, pour ne rien perdre à leurs défaites, appliquaient elles-mêmes avec un cynisme sans égal le principe révolutionnaire que la constituante avait proclamé pour les biens du clergé. Quelque considérable que fût un tel accroissement obtenu par la France, l’Europe, y compris l’Allemagne elle-même, y était alors pleinement résignée. La domination de l’Autriche au bord de l’Escaut, ce dernier reste de la monarchie de Charles-Quint, était au XIXe siècle contraire à la nature des choses, et les grands accroissemens qu’avaient retirés du dernier partage de la Pologne les trois principales cours continentales justifiaient alors devant la conscience publique l’extension de notre territoire jusqu’au Rhin. Le patriotisme germanique, si fort surexcité depuis, s’émouvait peu dans ce temps-là en voyant nos drapeaux à Mayence, et la nationalité belge était un sentiment que rien n’avait encore éveillé au sein des populations flamandes et brabançonnes enlevées au sceptre lointain et souvent pesant de l’Autriche. Vis-à-vis de l’Allemagne, le traité de Lunéville ne donnait donc à la France que des avantages sur lesquels on passait alors condamnation d’un accord presque