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unanime, et c’était d’un tout autre côté qu’allaient surgir les questions qui, trois années après la paix de Lunéville et moins de deux années après la paix d’Amiens, étaient appelées à rallumer une guerre dont la seule alternative possible était l’oppression du monde ou l’anéantissement de l’empire. C’est l’Italie, ce n’est point l’Allemagne, qui a été la pomme de discorde entre la France et l’Europe. Ce sont les affaires d’Italie qui ont provoqué la guerre maritime de 1803 comme la guerre continentale de 1805. À ce point de vue, le traité de Lunéville est loin d’être irréprochable, et ce n’est pas sans motifs qu’un publiciste judicieux, mesurant les désastreuses conséquences sorties soit de la lettre, soit de l’esprit de ce traité, le désigne comme « l’origine de tous nos malheurs, aussi bien que de toutes nos gloires[1]. » On peut regretter de ne pas trouver dans le récit d’ailleurs si plein de M. Thiers cette appréciation trop justifiée d’un acte qui a été la source de la plupart des déviations où s’est égarée bientôt la pensée impériale.

En ce qui concernait l’Italie, le traité imposé au désespoir de M. de Cobentzel réduisait l’Autriche à la limite de l’Adige, en lui enlevant Mantoue avec la Lombardie tout entière. Il attribuait à la république cisalpine toute la vallée du Pô depuis la Sesia jusqu’à l’Adriatique, Il arrachait l’archiduc autrichien régnant en Toscane à des sujets qui l’affectionnaient, pour le transporter à Salzbourg, et le remplaçait à Florence par une branche de la maison d’Espagne, placée en ce temps-là dans la plus étroite dépendance de la France. Ces distributions de territoires auraient pu se défendre, si elles avaient été sérieuses, et si les gouvernemens italiens appelés à en profiter, ayant une politique et une existence indépendante, avaient pu se passer du concours armé de la France et décliner son intervention quotidienne ; mais le royaume d’Etrurie, les républiques cisalpine et ligurienne, ne recevaient-ils pas de Paris leurs constitutions, leurs lois, leurs ministres et leurs généraux, et l’influence que l’Autriche exerçait naguère à Florence et à Modène n’était-elle pas remplacée par une domination directe et patente ? Les dispositions de Lunéville, interprétées comme elles allaient l’être par la consulte italienne réunie à Lyon sur l’ordre de Napoléon, ne donnaient-elles pas à la France à Milan, à Mantoue, à Gênes, à Livourne et à Florence un pouvoir aussi effectif et aussi avoué que celui qu’elle exerçait dans ses propres places de guerre et dans ses ports maritimes ? Le traité de Lunéville réunissait de fait, l’Italie à la France, tout en constituant dans ce pays des gouvernemens prétendus nationaux, et il

  1. M. Armand Lefebvre, Histoire des Cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, tome Ier.