de ce matin serait à l’ange noir, je jure qu’il fera connaissance avec mes balles.
Fréneli et Ulrich se regardèrent. Nourris tous deux dans la croyance des vallées, ils considéraient la région des neiges éternelles comme une terre de redoutables prodiges où l’homme ne pouvait se hasarder qu’avec une précaution craintive et sous l’aide de Dieu ; aussi l’audace de Hans leur parut-elle une impiété. La vieille femme partagea sans doute cette sensation, car elle secoua la tête et dit à demi-voix : — Il ne faut pas irriter l’ennemi invisible, Hans.
Mais le chasseur s’était exalté dans sa bravade ; il se leva, et frappant du poing sur la table dont il venait de s’approcher : — Par ma tête ! tante Trina, s’écria-t-il, je me soucie de celui dont vous parlez comme de la marmotte qui siffle dans les rochers de la Scheideck. Écoutez bien ce que je promets, — et vous autres aussi. — Avant huit jours, il y aura sur cette table un quartier de l’empereur des chamois que je viens de poursuivre.
Ce serment fut accompagné d’un regard jeté sur la jeune fille qui fit tressaillir Ulrich. Les paroles de son cousin n’étaient jamais prononcées à la légère ; ce qu’il avait dit était toujours une sorte d’engagement pris avec lui-même et qu’il accomplissait à tout prix. Aussi sa téméraire promesse fut-elle suivie d’un long silence.
Cependant il avait approché de la table une chaise de bois et s’était assis devant le misérable repas servi par la grand’mère. Il se composait uniquement d’un reste de pain noir et d’un morceau de fromage maigre. Hans se retourna vers le sculpteur.
— Je suppose que le cousin n’a point faim pour les dîners de chasseur, dit-il ironiquement ; on n’oserait lui offrir de prendre part à une si maigre chère.
— Qui parle de maigre chère ? interrompit une voix près du seuil. Et l’oncle Job apparut à l’entrée du chalet, armé de son bâton ferré, le marteau de chercheur de cristal à la ceinture, la boite de fer-blanc suspendue à l’épaule. Fréneli et Ulrich coururent à sa rencontre, l’un pour lui serrer la main, l’autre pour le débarrasser de ce qu’il portait ; mais le vieillard ne voulut lui abandonner qu’un petit panier qu’il tenait passé au bras.
— Prends garde, Néli, prends garde, ma fille, dit-il gaiement. Ce ne sont ni des herbes, ni des pierres, ni même des papillons ;… c’est ma réponse au neveu Hans. Ne parlait-il pas quand je suis entré de maigre chère ? Lève le couvercle, Néli, et montre-lui ce que j’apporte.
Elle ouvrit le panier, d’où elle retira successivement des œufs, du lard fumé, trois pains blancs et une petite bouteille d’eau de cerise. Le chasseur, qui avait paru indifférent aux premières exhibitions, accueillit cette dernière par une interjection de contentement.
— Ah ! ah ! ceci pourtant vous déride, mon maître, dit le vieillard